“Tout nous sourit” : Entre éclats de rire et fractures de l’âme




“Tout nous sourit” pourrait être le titre d’un feel-good movie, une sorte de “La La Land” hexagonal où tout s’arrange dans une explosion de couleurs et de bons sentiments. Mais ici, pas de danse endiablée au soleil couchant, pas de symphonie de violons en arrière-plan. Juste une maison de campagne, des secrets bien trop gros pour tenir sous le tapis, et des personnages qui auraient mieux fait de vérifier la météo avant de partir : une tempête conjugale se prépare

Mélissa Drigeard, aux commandes de ce vaudeville 2.0, orchestre un ballet familial où l’art du mensonge se pratique avec l’élégance d’un prestidigitateur rouillé. Ça commence pourtant comme un classique du genre : Audrey et Jérôme, couple installé, partent chacun de leur côté en week-end à la campagne. Objectif officiel : détente et amour bucolique. Objectif officieux : infidélité discrète. Oui mais voilà, le problème est qu’ils ont la judicieuse idée de partir au même endroit, à savoir dans la maison de campagne qu’ils possèdent. Et quand les enfants, les amants et même les beaux-parents débarquent sans crier gare, le château de cartes s’effondre façon “Titanic” – et personne n’a de canot de sauvetage.

Une mécanique bien huilée, mais sans éclat

Si le point de départ sent le déjà-vu (imaginez “Le Prénom” croisé avec un épisode de “Scènes de ménages” un soir de pleine lune), l’écriture du duo Drigeard-Juillet sauve l’ensemble du naufrage. Les dialogues fusent comme des répliques de Michel Audiard sous Red Bull, et certaines scènes rappellent le meilleur du théâtre de boulevard, version 2020.

Elsa Zylberstein et Stéphane De Groodt, aussi complices que deux braqueurs de banque tentant de cacher leur butin sous un tapis troué, offrent une partition maîtrisée. Lui, flegmatique et pince-sans-rire, jongle entre désarroi et mauvaise foi avec une agilité qui ferait pâlir Arsène Lupin. Elle, plus explosive, oscille entre la femme trompée, la mère dépassée et l’amante empêchée avec une justesse qui fait mouche. À leurs côtés, Emilie Caen brille en célibataire désabusée, tandis que Guy Marchand, en patriarche en bout de course, apporte une profondeur bienvenue à l’ensemble.

Mais voilà, aussi ciselés soient-ils, les dialogues ne suffisent pas toujours à masquer les failles. Le film déroule sa pelote d’embrouilles sans jamais totalement s’arracher du sol. Le rythme, parfois, hésite entre la comédie grinçante et le drame sincère, sans choisir franchement son camp. Et surtout, l’émotion reste en surface : on sourit souvent, on rit parfois, mais on pleure rarement.

Une mise en scène sans génie, mais efficace

Visuellement, Mélissa Drigeard fait le job. La réalisation, bien que sans surprise, évite les pièges de la comédie téléfilmée du dimanche soir. Les décors sont soignés, la photographie est élégante, et la caméra, souvent proche des visages, capte avec finesse les petits éclats de vérité qui surgissent entre deux mensonges.

Le huis clos est habilement exploité, rappelant parfois “Le Dieu du carnage” de Polanski, mais sans la cruauté jubilatoire de ce dernier. On sent que Drigeard veut éviter la surenchère et privilégier le réalisme des situations. C’est louable, mais cela manque parfois d’un grain de folie, d’une audace qui aurait pu faire basculer le film dans une catégorie supérieure.

Une critique douce-amère de la famille moderne

Sous ses airs de comédie de boulevard, “Tout nous sourit” est une autopsie subtile des hypocrisies du couple et de la famille. Les dialogues vachards masquent mal les fêlures, et la légèreté apparente du film cache une réflexion plus profonde sur la fidélité, le temps qui passe et les rôles qu’on endosse presque par habitude.

Certains personnages, notamment les enfants, sont toutefois réduits à de simples accessoires narratifs, et l’ensemble aurait gagné à explorer davantage certaines pistes laissées en suspens. Guy Marchand, notamment, méritait plus d’espace pour développer son personnage, qui aurait pu apporter un contrepoint plus poignant au tumulte ambiant.

Alors, verdict ?

“Tout nous sourit” ne réinvente pas la comédie familiale, mais il la sert avec élégance et efficacité. Si on regrette un manque de mordant et une certaine tiédeur émotionnelle, le film reste une proposition honnête, portée par des acteurs investis et une écriture affûtée. Ce n’est pas un grand cru, mais il se déguste avec plaisir, comme un bon vin qui aurait mérité un peu plus de corps.

Ma note : 3,5/5


À voir si : vous aimez les huis clos bien dialogués, les comédies de mœurs élégantes et les scènes de règlements de comptes sous tension.
À éviter si : vous cherchez une vraie claque émotionnelle ou une comédie hilarante qui vous fera pleurer de rire.

En somme, “Tout nous sourit” nous fait esquisser un sourire sincère, mais pas inoubliable. Un peu comme un bon épisode de “Dix pour cent” : agréable sur le moment, mais vite remplacé par le suivant.

Genre : Comédie dramatique
Réalisation : Mélissa Drigeard
Casting : Elsa Zylberstein, Stéphane De Groodt, Emilie Caen, Guy Marchand
Durée : 1h38


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