Quand on pense au Pays Basque, on imagine direct la mer, les piments et les rugbymen à moustache. Mais dans les fougères touffues du piémont basque, une autre star fait doucement son come-back : la Sasi Ardi, alias la brebis des broussailles, alias la ninja poilue de la montagne
À première vue, elle a pas franchement la gueule de l’emploi. Petite, maigrichonne, avec la laine qui pendouille comme un rideau de douche oublié au sèche-linge, la Sasi Ardi n’a pas le physique d’une star du salon de l’agriculture. Pourtant, sous ses airs de punk à frange, cette brebis résiste à tout : au froid, aux tiques, aux forêts de ronces, et même au mépris des marchés.
Mais voilà qu’elle remonte le courant, telle un saumon rebelle. Et ce, grâce à un duo improbable mais diablement efficace : Jean Lassalle, éleveur passionné à Hasparren (non, pas celui des discours en sabots à l’Assemblée, mais presque), et Cédric Marinello, chef toqué du Bar Basque à Saint-Jean-de-Luz, qui l’a mise à la carte avec amour et deux brins de romarin. Et croyez-moi, on est bien loin du gigot dominical tout sec de mamie Jeannette.
Brebis 2.0 : quand la broussaille devient tendance
Faut dire que pendant des décennies, la Sasi Ardi était la laissée-pour-compte de l’élevage. Trop petite pour être rentable, trop sauvage pour être docile, trop rustique pour le business. Bref, trop de “trop” pour le monde moderne.
Mais c’était sans compter sur une bande de bergers têtus qui, dans les années 90, ont commencé à flairer le retour des choses simples. Ils ont déniché des brebis planquées dans les hauteurs de Sare et Biriatou, ont bossé avec des généticiens plus patients que des moines tibétains, et ont fondé en 2014 l’asso Sasi Artalde.
En 2016, bingo ! La Sasi Ardi est reconnue officiellement comme race. En 2017, elle décroche le 1er prix de la Fondation du Patrimoine pour l’Agrobiodiversité Animale. Et en 2018, le label Sasiko voit le jour pour garantir une viande au poil (et aux normes).
Un steak qui ne bêle pas trop fort
Car oui, la surprise vient de là : la viande. Non seulement elle est bonne, mais elle est même délicieusement délicate. Loin de la bidoche virile qui vous fume les sinus, la Sasi Ardi envoie un goût subtil, un genre de mix entre la noblesse d’un vieux bœuf persillé et la tendresse d’un agneau élevé aux caresses. Une viande qui se la pète pas mais qui réconcilie les fins gourmets et les molaires rurales.
Cédric Marinello, chef à la verve aussi affûtée que son couteau à dénerver, la travaille comme une dentelle carnée. À l’épaule, il en fait des confits qui vous font pleurer de bonheur. En terrine, elle se marie à du cochon comme au bal musette. Et pour les plus aventureux, il paraît qu’elle se prête même au tartare… Si, si.
Mais attention, c’est pas encore en libre-service au Leclerc du coin. Faut la mériter, la Sasi Ardi. Une seule boucherie labellisée Sasiko, des circuits courts, cinq restos triés sur le volet (genre pas plus que de doigts sur une main de boucher), et un abattoir à Saint-Jean-Pied-de-Port qui pose le tampon avec parcimonie. Bref, c’est du terroir, du vrai, du qui a gambadé sur les pentes de la Rhune.
Et là, vous vous dîtes, “mais quel est donc le secret ?” Eh ben j’vais vous le dire… Une vie à la dure, mais à la cool. Pas d’OGM, pas de soja brésilien, pas même de foin hors-sol. Les Bildots (agneaux) et Zikiros (mâles castrés de trois ans) vivent peinards au grand air, en bouffant ce qu’ils trouvent selon la saison : un coup de bruyère, un peu de ronce, une touffe de thym, et basta.
En plus, c’est aussi une brebis écolo avant l’heure. Elle nettoie les broussailles, entretient les montagnes, limite les incendies… Une sorte de tondeuse autonome, silencieuse et biodégradable.. Une manière utile (et savoureuse) d’entretenir la montagne.
Quand les chefs s’en mêlent
Aujourd’hui, quelques têtes pensantes de la gastronomie basque, comme les restos Nuance à Bayonne ou Epoque à Biarritz, commencent à la jouer terroir chic. La Sasi Ardi devient le nouveau caviar des estives. Ceux qui la bossent en cuisine prennent le temps de la comprendre. Chaque morceau est bichonné, y compris les bas morceaux, qui finissent en ragoûts slow food ou en terrines de la muerte.
Jean Lassalle l’a dit : pas question d’en faire un produit de masse. Ce serait comme coller des strass sur un pottok. La Sasi Ardi, c’est de la viande à l’ancienne, pour ceux qui aiment prendre le temps de mastiquer l’histoire.
Le mot de la faim
Cette brebis rebelle a traversé les siècles, les montagnes et les dédains industriels pour finir en papillote sous les projecteurs, et dans votre auge. Elle est pas grosse, elle est pas lisse, mais elle envoie de la bidoche comme un slam de berger. Vous l’aurez compris, la Sasi Ardi, c’est pas du mouton de Panurge. C’est de l’agneau de résistance.
Et ça, mes agneaux, ça se savoure…