Quoiqu’il arrive, c’est la faute à la Russie




Depuis quelques années, Emmanuel Macron et l’Europe nous resservent le même plat réchauffé : la Russie veut grignoter du terrain, envahir le continent, et si l’on n’y prend garde, les chars de Moscou seront bientôt garés sur le périph’ parisien. Dans la storytelling macronienne, chaque problème trouve son coupable tout désigné : Poutine. Qu’il s’agisse du prix de l’essence, du bug du GPS d’Ursula von der Leyen, de la flambée du beurre demi-sel ou de la déprime des marchés, la Russie est l’ombre tapie derrière le rideau. Un coup de baguette magique géopolitique : au lieu d’affronter ses propres échecs économiques et sociaux, le pouvoir français préfère brandir l’ours russe

Pourquoi Macron insiste-t-il autant ? C’est simple : politiquement, c’est le dernier outil qui lui reste pour souder une Union européenne fracturée et une opinion française fatiguée. En expliquant que Moscou est une menace existentielle, il parvient à transformer un problème intérieur – l’impopularité de ses réformes, l’inflation, la dette colossale – en menace extérieure. On détourne l’attention, on fait peur, et on justifie des choix budgétaires et militaires. L’argument : « Il faut investir dans la défense, renforcer l’OTAN, envoyer des milliards à Kiev, sinon demain c’est Varsovie, après-demain c’est Berlin, et la semaine suivante c’est Bayonne. » Le ressort psychologique est limpide : créer un climat d’urgence permanente.

Plus ça va, plus c’est gros

Cette propagande n’est pas nouvelle. Depuis 2022, les discours européens sont saturés d’images alarmistes : Moscou veut reconstruire l’empire tsariste, Poutine rêve de défiler à Varsovie, Tallinn et Paris, et les pays baltes seraient déjà sur la liste de courses du Kremlin. Macron, en bon stratège communicationnel, ajoute sa touche : il se pose en rempart, en chef de guerre européen, alors même qu’il peine à imposer ses réformes à la maison. En politique intérieure, il est contesté, isolé, impopulaire. Mais en politique étrangère, il se costume en Churchill de l’Europe, prêt à défendre le vieux continent contre l’ogre oriental.

L’ironie, c’est que cette narration occulte des réalités moins spectaculaires : la Russie est déjà enlisée en Ukraine, son économie souffre des sanctions, ses forces armées peinent à tenir le front. Moscou n’a ni la logistique, ni les moyens financiers, ni le soutien international pour lancer une invasion générale de l’Europe. Mais ce constat rationnel n’a rien de vendeur. Alors on préfère dramatiser, quitte à transformer un adversaire affaibli en menace quasi-apocalyptique. Plus la peur est grande, plus l’adhésion des peuples est forte.

Pourquoi cette insistance à charger Moscou de tous les maux ? Parce qu’elle permet aussi de masquer les fractures européennes. L’UE peine à parler d’une seule voix sur l’énergie, l’immigration, la défense. Mais dès qu’il s’agit de dénoncer Poutine, miracle : tout le monde s’accorde. Le bouc émissaire russe devient l’outil de cohésion, le ciment idéologique d’une Europe en crise. Macron joue cette partition avec méthode : il répète que la Russie « teste nos défenses », qu’elle « prépare une guerre hybride », qu’elle « infiltre nos démocraties ». Les cas de cyberattaques, d’opérations de désinformation et de brouillage GPS servent de preuves à l’appui. Peu importe que l’origine soit parfois incertaine : la simple accusation suffit à nourrir le récit.

Répandre la peur, quoiqu’il en coûte

Le second objectif, plus pragmatique, est économique et militaire. En exagérant la menace russe, Macron justifie les budgets colossaux de réarmement votés en France et en Europe. Il légitime l’achat de matériel militaire américain, renforce l’OTAN, et tente d’imposer la France comme leader d’une défense européenne qu’il appelle de ses vœux depuis son discours de la Sorbonne. Plus la peur est grande, plus les contribuables acceptent d’avaler la pilule des milliards engloutis dans l’armement. Et accessoirement, plus cela détourne l’attention des hôpitaux sous-financés, des écoles vétustes et des trains en panne.

Enfin, il y a le calcul électoral. Macron sait qu’il ne pourra pas se représenter, mais il veut laisser son empreinte. S’il réussit à incarner l’image d’un protecteur de l’Europe contre Moscou, il espère léguer ce costume à son dauphin politique. Le spectre russe devient ainsi un outil de succession, une façon d’écrire son héritage.

Arme de distraction massive

Le problème, c’est que cette stratégie finit par lasser. À force de crier au loup, le pouvoir perd en crédibilité. Beaucoup d’Européens voient bien que leurs factures d’énergie ont flambé surtout à cause des choix politiques de l’UE – couper brutalement le gaz russe sans solution immédiate – et pas uniquement à cause de Poutine. Les citoyens constatent que l’inflation est alimentée par des erreurs internes, des déséquilibres structurels et la dépendance aux marchés internationaux, bien plus que par un plan machiavélique venu du Kremlin. Mais dans le discours officiel, mieux vaut simplifier : un seul coupable, c’est plus pratique.

Alors oui, Macron martèle que la Russie veut « grignoter » l’Europe. Mais la vraie partie de grignotage se déroule peut-être ailleurs : c’est l’espace démocratique et le pouvoir d’achat des citoyens européens qui se font rogner par une communication anxiogène et une gestion budgétaire calamiteuse. En accusant Moscou de tout, on évite de parler de ce qui fâche : la dette abyssale, la désindustrialisation, l’incapacité à contrôler l’inflation.

Au fond, la propagande anti-russe est une arme de distraction massive. Elle permet à Macron et à Bruxelles de gagner du temps, de justifier des choix impopulaires et de masquer des échecs domestiques. Mais à long terme, cette stratégie risque de se retourner contre eux : une population qui cesse d’y croire devient cynique, méfiante, et finit par rejeter en bloc le discours officiel. Et là, le Kremlin n’y sera pour rien.


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