Il y a des événements sportifs qui se courent à plat et il y a ceux qui se grimpent. La Skyrhune, c’est l’ultra-trail qui te prend gentiment par la main pour te balader en montagne, avant de t’envoyer tout droit en enfer. Enfin, façon de parler… ou presque. Cette année encore, le village d’Ascain va voir débarquer le 21 septembre prochain, une ribambelle de coureurs aux mollets aussi saillants qu’un gigot de sept heures, prêts à avaler les 21 kilomètres et 1700 mètres de dénivelé. Oui, parce que chez nous, quand on te dit que ça va monter, ce n’est pas une blague : ça grimpe VRAIMENT. Mais cette fois, ce n’est pas une ascension comme les autres. Non, 2024 marque la fin d’une époque : c’est la dernière édition de la Skyrhune. Oui, cher lecteur, préparez vos mouchoirs et vos pompes de trail, car cette course mythique tire sa révérence
Il sera 14 heures, l’heure où le commun des mortels s’attaque à son dessert dominical. Mais pour les participants de la Skyrhune, c’est l’heure de démarrer une petite montée qui te fait reconsidérer la pizza d’hier soir. Les 600 athlètes, tout sourire et frais comme des gardons (ou du moins, ils le croient), partent à l’assaut des premiers kilomètres, à l’aise comme des poissons dans l’eau… ou plutôt des sardines dans une boîte, tellement ça bouchonne dans les sentiers étroits.
Les premiers kilomètres sont trompeurs, avec une montée progressive. Les optimistes se disent : “Facile, c’est du gâteau”. Mais à la Skyrhune, les gâteaux, on te les fait passer par la gorge… à l’envers. Les petites bosses se transforment vite en véritables murs. Et là, on revoit nos classiques : “La montagne, ça vous gagne”, oui, mais ça vous fait suer aussi.
Le Mur d’Ibardin, moment où les coureurs entrent dans le vif du sujet
Au bout de dix kilomètres, voilà la bête noire, le monstre des Pyrénées, j’ai nommé : le Mur d’Ibardin. Certains coureurs se transforment alors en véritables alpinistes amateurs, accrochés aux bâtons comme un chaton à un rideau. D’autres, plus téméraires, essaient de courir… avant de renoncer aussi sec. Si quelqu’un s’était encore trompé de course et pensait participer à un simple jogging, c’est à ce moment qu’il comprend sa méprise. En bas du Mur, les esprits sont encore légers, mais en haut, les visages sont marqués par la fatigue et… l’illumination : “Ah, c’est ça, faire une Skyrhune…“
Les joggings du dimanche, ici, ils sont dans les pensées. Ce n’est plus une course, c’est une montée de l’âme… et du cardio. Les montagnes se suivent mais ne se ressemblent pas : tantôt rocheuses, tantôt verdoyantes, tantôt avec un serpent de coureurs suintant la souffrance. En d’autres termes… Vous crachez vos poumons.
Arrivé au sommet, après avoir escaladé une pente à faire pâlir les alpinistes les plus chevronnés, on se dit que le pire est derrière nous. Mais c’est sans compter sur la Rhune, le sommet mythique. Là-haut, on voit des choses que seuls les randonneurs épuisés peuvent apercevoir : des lapins de six mètres, des guirlandes de saucissons volants et, avec un peu de chance, un coin de ciel bleu. Le panorama est à couper le souffle… littéralement, car on a du mal à respirer.
Les crêtes sont un vrai régal pour les yeux, mais un cauchemar pour les cuisses. La descente est technique, les appuis précaires, et certains se transforment en apprentis parachutistes, se rattrapant tant bien que mal à des buissons. Les visages commencent à se tirer et les blagues de départ laissent place à des rires nerveux, presque hystériques. Certains coureurs racontent même avoir vu des vautours les suivre d’un peu trop près, flairant déjà un éventuel repas. Mais c’est mal connaître les skyrunners, qui préféreraient ramper jusqu’à l’arrivée plutôt que d’abandonner.
Une descente tout schuss… ou toute chute ?
La fin de la course approche, et après avoir grimpé et grimpé encore, il faut redescendre. Facile, non ? Eh bien, pas tant que ça. La descente est aussi traître qu’une ex en colère. Le terrain glissant transforme certains endroits en véritables figures de style, entre roulades involontaires et glissades incontrôlées. On assiste à des chorégraphies qui n’auraient pas déplu au Festival « Le temps d’aimer la danse » de Biarritz. Un participant a même avoué avoir glissé sur 10 mètres, mais a heureusement été stoppé net… par un buisson de ronces. “Pas grave, ça pique moins que la montée“, a-t-il plaisanté, un brin masochiste.
À ce stade, les jambes ne répondent plus, ou alors elles répondent à côté. Chaque pas est une victoire, chaque virage un supplice. Les pierres volent, les chevilles tournent, mais l’arrivée est enfin en vue. L’euphorie reprend ses droits, mais pas question de relâcher l’effort ! “Encore un dernier effort, et je peux enfin boire une bière !” pense le coureur. Mais en fait, il pense surtout à la bière, celle du réconfort.
L’arrivée, t’es content d’y être
Enfin, après plusieurs heures de calvaire joyeux, le village d’Ascain réapparaît au loin. Le tapis rouge n’est peut-être pas déroulé, mais il est présent dans la tête de chacun. Certains franchissent la ligne avec un sourire béat, d’autres en boitant, et quelques-uns en rampant. Mais ils sont tous là : les héros du jour, les guerriers de la montagne.
À l’arrivée, les discussions vont bon train. On rit, on s’échange des anecdotes et, surtout, on savoure le ravitaillement tant attendu. Au menu : bière, fromage, charcuterie… de quoi refaire le plein d’énergie et, surtout, de bonne humeur.
Mais cette année, le goût de la bière est légèrement amer. Car on le sait, c’est la dernière fois que l’on se retrouve ici, dans ce cadre unique, pour partager cette souffrance collective. La Skyrhune, c’est plus qu’une course, c’est une tradition, une aventure humaine où l’on a sué, grimpé, dévalé… et surtout rigolé ensemble. Mais toutes les bonnes choses ont une fin, et cette course, après des années à faire trembler les Pyrénées et les mollets des coureurs, tire sa révérence.
Alors, à tous les Skyrhuners, un dernier au revoir et, qui sait, peut-être qu’un jour, en haut de la Rhune, vous entendrez encore le souffle lointain de ces guerriers des cimes… ou simplement celui du vent qui souffle, un brin nostalgique.