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La Capsule bleue : Elles brodent un avenir à l’ancienne




À Saint-Martin-d’Arrossa, trois drôles de dames du textile déroulent le fil du passé pour retisser le futur. Leur objectif ? Ressusciter le vrai linge basque d’antan, celui en lin avec une ligne indigo qui sent bon le trousseau de mémé. Et elles ne manquent pas de bobines !

Dans la vallée de Saint-Martin-d’Arrossa, un vent de nostalgie souffle sur les métiers à tisser. Et ce n’est pas juste une brise de printemps. Non, c’est un vrai courant d’air textile, alimenté par trois têtes bien faites et bien tressées : Julie Laymond, Aurélie Hustaix et Célia Grabianski. Leur but ? Démêler l’écheveau du temps pour ramener à la surface un tissu presque disparu : le linge basque en lin, blanc comme lessive bien faite, orné d’une bande indigo aussi discrète que classe.

De la paperasse au tissage : le grand écart

Tout a commencé par une mauvaise nouvelle : en 2020, ONA TISS, l’un des derniers tisserands du Pays basque, met la clé sous le canevas. Pour les trois futures fondatrices de l’association La Capsule bleue, c’est le déclic. “On ne pouvait pas laisser ce pan du patrimoine partir en lambeaux“, raconte Aurélie, ex-juriste chez Hermès, reconvertie en fileuse de beaux jours. Fini les contrats en petits caractères, place aux trames en gros fil !

Elles se mettent donc à la couture des grands projets : racheter les vieilles machines mécaniques de 1986 de l’entreprise déchue, les astiquer jusqu’à ce qu’elles ronronnent à nouveau, puis relancer la production d’un tissu que même les grands-mères n’osaient plus espérer retrouver en magasin. L’objectif est clair : remettre sur le marché un “linge patrimoine” digne des armoires basques d’antan.

Du coton au lin : retour à la fibre mère

Car non, le linge basque, ce n’est pas que ces sept bandes multicolores qui envahissent les rayons des magasins de souvenirs dès qu’on traverse la frontière. À la base, il s’agissait d’un tissu en lin, tout ce qu’il y a de plus naturel, blanchi au soleil, avec un simple filet bleu indigo pour faire joli sans en faire trop. Pas tape-à-l’œil, mais chic. Du genre à habiller un dimanche sans faire d’esclandre.

Alors certes, pour l’instant, le lin utilisé est cultivé dans les Hauts-de-France. Mais l’équipe a des vues sur le Béarn. Pas pour une villégiature, non : pour relocaliser la production. “Historiquement, c’était un bassin linier. Il y a tout à reconstruire, mais on y croit à fond.” Et comme elles le disent en rigolant : “le lin, c’est le seul textile où t’as pas besoin d’eau chaude pour laver ta conscience écologique”.

Un boulot d’archives… au poil de lin près

Mais relancer un tissu disparu, c’est pas comme retrouver une vieille chemise au fond d’un carton. Faut fouiller, questionner, observer, et surtout… décortiquer les bouts de tissu hérités de tante Ursule. Car plus personne ne se souvenait exactement de la trame, du motif ou même de l’histoire de cette fameuse ligne bleue.

On a mené un vrai travail d’archéologues du torchon“, rigole Célia, coordinatrice du projet. Loupe en main, elles ont analysé les motifs en œil-de-perdrix – et pas question de faire de la broderie de salon, hein. Il a fallu adapter les métiers mécaniques à ces dessins d’un autre temps, en bossant avec une manufacture pour créer une carte perforée digne d’un orgue de Barbarie textile.

Et ce n’est pas fini. “On se demande encore pourquoi cette fameuse ligne bleue. Est-ce un code social ? Une coquetterie d’époque ? Ou un moyen de repérer les torchons dans les foires ?” Autant dire que le mystère reste bien ourlé.

Une Capsule pas si petite

Mais La Capsule bleue, ce n’est pas juste une machine à remonter le lin. C’est tout un projet cousu main, qui tisse à la fois patrimoine, formation, création contemporaine et recherche textile. Dans leur atelier, niché au cœur du regroupement d’entreprises artisanales Gurea, elles ont monté un vrai carré magique en quatre pôles :

Et le tout, sans jamais faire une croix sur le style. Ici, pas question de tordre le cou à la tradition : on la cajole, on la renforce, et on la modernise, fil après fil.

Quand le linge relie les gens

Mais derrière les bobines, c’est aussi une histoire de liens humains. La Capsule bleue, c’est la démonstration que le textile, c’est pas que du chiffon. C’est un pont entre générations, une passerelle entre mémoire et avenir, et un bon prétexte pour filer du sens à son quotidien. Pas étonnant que la fondation Ici-Tokiko (comprenez “d’ici”) ait décidé de les soutenir dès leurs débuts. En 2021 et 2022, elle a mis la main à la poche pour financer l’amorçage : achat et rénovation des machines, formation des mains agiles et des têtes bien faites.

Car ici, pas de rêve hors-sol : tout repose sur le local, le durable, l’humain. Pas de blouse blanche, mais des blouses bleues, qui ont compris qu’on pouvait tricoter du patrimoine avec du bon sens et un soupçon d’audace.

Objectif 2026 : le grand retour du linge patrimoine

Et après ? Les planches à repasser ne vont pas chômer. La collection “linge patrimoine” devrait voir le jour début 2026. Des nappes, des serviettes, du linge de maison tissé comme au siècle dernier, mais pensé pour les maisons d’aujourd’hui. Ni trop rustique, ni trop nostalgique. Juste ce qu’il faut de vintage pour plaire aux bobos comme aux bobines.

Ce n’est pas juste une histoire de chiffon, c’est un manifeste doux comme le lin, solide comme la conviction de trois femmes qui n’ont pas froid aux doigts.

Et à ceux qui diraient que tout ça, c’est du lin à l’eau, Julie, Aurélie et Célia répondent en souriant :
Attendez de voir ce qu’on prépare au prochain tour de navette.

Le saviez-vous ?

À La Capsule bleue, on ne brode pas. On tisse, on ourdit, on file… un avenir où le linge ne sera plus relégué au placard. Le patrimoine basque, elles le repassent à la main avec amour, sans jamais se froisser.

Et dans cette grande lessive du monde moderne, leur projet tient la corde.

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