À flanc de falaise et à deux doigts de la cata, la mythique Corniche basque vacille. L’érosion grignote, le bitume craque, les plaques tectoniques s’en donnent à cœur joie, et les voitures devront bientôt faire un détour par l’Histoire. Ou par l’autoroute, c’est selon. Récit d’une descente aux enfers à la sauce basquaise
Y’a des routes qui filent droit, y’a des routes qui serpentent, et puis y’a la Corniche basque. Celle qui se la raconte depuis 1928, perchée entre ciel et Atlantique, à deux virages près de l’infarctus panoramique. Sauf qu’aujourd’hui, cette diva de l’asphalte a le talon qui s’effrite, un peu comme une mamie centenaire à qui on aurait confié un skate électrique : elle tangue sévère. Le sol se barre, la falaise flanche, et l’enrobé tire la gueule. Bref, ça sent le ravalement de façade géologique.
Du coup, entre Hendaye et Ciboure, c’est ambiance “péril en la demeure”. Les blocs de béton sortent plus vite que les surfeurs les jours de Belharra, les piétons sont priés d’aller gambader ailleurs, et même les voitures doivent bientôt faire leur deuil d’un bout de carte postale motorisée. La Corniche ? Fermée. Expérimentalement d’abord, “jusqu’à nouvel ordre” ensuite. Traduction : on vous rappelle, mais ne retenez pas votre souffle.
Un décor de rêve, un cauchemar d’ingénieur
Flashback. Il y a cent millions d’années, la plaque ibérique décide de faire un gros câlin à la plaque continentale. Résultat : le flysch. Un millefeuille de grès et de marnes, aussi beau que friable. Une géologie digne d’un bon thriller : spectaculaire, complexe, et prête à péter à tout moment.
Sur ce terrain miné, les humains, toujours aussi optimistes, ont donc décidé de poser une route. Logique. En 1905, les cerveaux du Club de France se disent que ce serait cool de longer l’Atlantique au plus près du vide. Vingt-trois ans plus tard (eh oui, déjà à l’époque, les délais de chantier faisaient rire), la Corniche voit le jour. Elle remplace peu à peu un tramway qui se traînait la patte, et devient vite la star des escapades en bagnole : bitume + océan + virages serrés = cartes mémoires pleines et estomacs retournés.
Mais aujourd’hui, ce décor de rêve se fissure. Littéralement. Les falaises dégringolent, les tempêtes se déchaînent, la mer monte comme le prix de l’essence, et la route ? Elle glisse, elle couine, elle se barre en miettes.

« Attention affaissement », ou comment la nature dit merde au goudron
En octobre 2020, une portion de falaise décide de partir en vacances sans prévenir. Et Boum ! Effondrement. Pas de blessés, mais une grosse suée pour les autorités. Depuis, c’est ambiance paranoïa : capteurs, patrouilles, barrières, et messages flippants façon “Attention, sol susceptible de vous avaler tout cru”.
Et comme si ça ne suffisait pas, les humeurs de la météo s’y mettent aussi. En cas de vigilance orange (c’est-à-dire à peu près un mardi sur deux), la route ferme illico. En moins d’un an, trois fermetures. C’est plus une route, c’est le calendrier des grèves de la fonction publique.
Selon Mélanie Chauvin (non, c’est pas la sœur d’Ingrid), qui pilote les Routes au Département, ça ne va pas aller en s’arrangeant. « Le sol se tasse, la falaise se barre, et les précipitations, ça creuse. » Tu m’étonnes. Avec le dérèglement climatique en mode turbo, on va passer du “trait de côte” au “trait tiré dessus”. Et d’ici 2043, la RD912 pourrait bien se retrouver à faire trempette façon Titanic.
L’État, le Département et les maires : le triangle (très) mouvant des décisions
En décembre 2024, un comité de pilotage s’est réuni pour faire un point. Une réunion au sommet, littéralement. Autour de la table : le Département, l’État, les villes d’Hendaye, Urrugne, Ciboure, et le géomètre de garde. Verdict ? Pas de fermeture totale (ouf !), mais un “recul ponctuel et modéré”. Traduction : on va bidouiller par-ci par-là, décaler un peu le ruban noir de quelques mètres, histoire de gagner du temps avant l’inéluctable plongeon.

Le hic, c’est que certaines portions, notamment du côté de Socoa, sont déjà en mode Game Over. Impossible d’aménager, impossible de détourner, la topographie dit non et le camping Juantxo aussi. Et comme souvent, ce sont les élus locaux qui lèvent la voix : le maire de Ciboure tape du poing, celui d’Urrugne le suit en mode rugbyman solidaire. Leur crainte ? Qu’on ferme un bout sans penser aux conséquences. Résultat : ça râle, ça négocie, ça promet des études. Et pendant ce temps-là, la mer rigole et continue son boulot de démolition.
60 capteurs, 3 scénarios, et une autoroute en embuscade
Mais attention, tout ça n’est pas fait à l’arrache. On est au Pays basque, pas chez les bras cassés. Pour anticiper la suite, une fermeture expérimentale a été testée au printemps 2024. Trois semaines sans voitures. Objectif : voir où se refile le trafic comme une patate chaude.
Spoiler : ça bouchonne ailleurs. Notamment sur la D810, qui n’en demandait pas tant. Heureusement, 60 points de comptage sont venus renifler le bitume pour nourrir les simulations du futur.
Car oui, il faut se projeter. Trois scénarios sont sur la table : offrir l’A63, cette chère autoroute à péage, en accès gratos (on peut rêver) ; balancer tout le monde sur la D810 (courage mais surtout patience) ; ou carrément construire une nouvelle route en élargissant des chemins communaux (à vos bulldozers).
Le bitume dans le dos, l’océan en face
Alors voilà où on en est. La Corniche, cette vieille star qui a vu passer des films, des vélos, des camping-cars allemands, et des mariages en décapotable, est en bout de course. Pas encore condamnée à mort, mais placée en soins palliatifs géotechniques.
La route résistera-t-elle encore 10, 20, 50 ans ? Mystère. Ce qui est sûr, c’est que le site reste splendide. L’un des plus beaux points de vue sur le golfe de Gascogne, selon Guy Lalanne (non, c’est pas le frère de Francis!), l’historien local. Sauf qu’au rythme où ça s’effrite, bientôt on ne verra plus la mer, mais on sera dedans.

Les automobilistes, eux, vont devoir s’adapter. Prendre leur mal en patience, leur GPS en main, et dire adieu à la virée carte postale entre deux falaises. Et peut-être, qui sait, découvrir que le train, le vélo, ou même le covoit’, c’est pas si nul quand la route fout le camp.
Épilogue : quand la falaise dit stop
La Corniche basque, c’est un peu la diva fatiguée de la côte. Jolie, capricieuse, inoubliable. Mais comme toutes les stars vieillissantes, elle réclame du repos, du respect… et un bon plan retraite.
Le sol tremble, le trait de côte recule, la falaise s’effondre ? Pas grave, disent les autorités, on va reculer avec elle. Ponctuellement. Modérément. Jusqu’à ce que ce soit elle qui nous pousse à la mer.
En attendant, si vous voulez la voir une dernière fois, dépêchez-vous. Parce qu’après, pour admirer l’horizon depuis là-haut, il faudra peut-être un masque, un tuba, et un bon GPS sous-marin.
En résumé :
La fermeture d’avril 2025, en chiffres
- Date : 5 avril 2025
- Tronçon fermé : entre la RD913 et le camping de Socoa
- Déplacement de terrain observé : 6,4 cm
- Durée : fermeture “jusqu’à nouvel ordre”
- Accès piétons également interdit
Corniche : une route qui disparaît
D’après les projections du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), la Corniche pourrait devenir impraticable d’ici 2043. L’érosion maritime et les glissements de terrain accélèrent sa lente agonie.
Quelles alternatives en vue ?
- Déviation du trafic vers la D810
- Repli ponctuel de la route vers l’intérieur des terres
- Élargissement de routes communales
- Réflexion sur un nouveau schéma de mobilité entre Hendaye et Ciboure
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