Thierry Ardisson, l’homme en noir tire sa révérence : Vive l’écran noir !




Ce n’était pas un enterrement, c’était un dernier plan séquence. Thierry Ardisson a rangé son micro HF, replié sa silhouette en noir et baissé le rideau, en bon monarque télévisuel qu’il fut, façon Louis XVI sur canapé Chesterfield. Dans un monde médiatique devenu fade comme un café sans clope, la mort d’Ardisson sonne comme la fermeture d’un cabaret dont les miroirs ne renvoyaient que la vérité. Brutale, crue, dégraissée du politiquement correct. On ne verra plus l’homme en noir poser ses questions « qui tuent », ni faire surgir l’indicible d’un silence embarrassé entre deux verres de whisky. C’est un pan de l’insolence française qui rejoint les catacombes. Et franchement, ce n’est pas Netflix qui le remplacera

Ardisson : dernier roi d’un royaume éteint

Thierry Ardisson, c’était avant tout un trône sans couronne, un plateau sans filet. Il avait cette manière royale de régner sur l’audiovisuel, sans jamais passer par les concours de technocrates ou les castings de mignons. Monarchiste assumé, il se disait « légitimiste », mais surtout légitime. Il n’attendait ni votes ni sondages pour affirmer qu’il avait raison. Et souvent, il avait raison. Quand la télé devenait aseptisée, lui sortait le poil à gratter. Quand les autres débattaient du sexe des anges, il posait des questions sur celui des invités. Il ne trônait pas, il tranchait.

À la différence de bien des animateurs à œillères, Ardisson regardait la France telle qu’elle est, pas telle qu’elle devrait être selon les agences de com’. Il y avait chez lui du Gabin, du Beigbeder, du Céline, du punk en costume Hugo Boss. Il fumait en direct, faisait l’éloge du LSD sur un ton chirurgical, citait Maurras avant de caresser JoeyStarr dans le sens du grain. C’était du cynisme haut de gamme, pas le sarcasme low cost des twittos en mal de punchlines.

Sa mort n’a pas suscité de grande messe. Pas de flonflons sur les plateaux, pas d’hommage unanime sur TikTok. Ardisson est mort comme il a vécu : à contre-programmation. Alors que les chaînes se prosternent devant les influenceurs fluo, lui sort par la trappe, avec classe, dans un monde qui ne mérite plus ses noirs complets.

Dernier des Mohicons

Ardisson, c’était l’homme des « formats », des idées, des concepts forts. Là où d’autres recyclaient les mêmes talk-shows mous, lui pondait Tout le monde en parle, 93, faubourg Saint-Honoré, Salut les Terriens… Avec toujours ce même mélange : impertinence + élégance + provoc = feu d’artifice. Il avait compris que la télé était un art de la mise en scène. L’interview était chez lui un duel, pas un tête-à-tête de yoga molletonné.

Il ne demandait pas « comment ça va ? », il demandait « avez-vous déjà trompé votre femme ? ». Il n’écoutait pas les réponses pour valider, mais pour provoquer. Et parfois pour humilier, certes. Mais comme dirait l’autre : « C’est pas parce que c’est méchant que c’est faux ».

Dans un paysage médiatique qui a troqué l’insolence pour la bienveillance obligatoire, Ardisson faisait figure de dinosaure en cuir. Un T-Rex avec des punchlines. Un paléolithique du glamour, un fossoyeur du bullshit. Il savait que la télé ne doit pas rassurer, mais déranger. Et ça, aujourd’hui, même le CSA l’a oublié.

Chronique d’une disparition non-médiatisée

Étrangement, sa mort n’a pas fait l’ouverture du 20h. À peine quelques bandeaux en bas d’écran, vite recouverts par un nouveau fait divers ou une énième chronique sur les JO. Il faut dire que depuis quelques années, Ardisson ne faisait plus partie du grand banquet télé. Il avait été évincé comme un vieux vin trop tannique dans une époque à la gorge sensible.

Il y a quelque chose d’atrocement ironique à ce que Thierry Ardisson meure à l’heure où la télévision est devenue ce qu’il détestait : gentille, docile, stérile. Ce n’est pas la mort d’un homme, c’est la mort d’un esprit. Ardisson, c’était un peu le De Gaulle du prime-time, le Johnny des plateaux, le Mitterrand des talk-shows. Aujourd’hui, on lui préfère des influenceurs TikTok à frange névrotique qui lisent des prompteurs écrits par des IA sous Lexomil.

Mais attention, n’allez pas croire que Thierry s’en plaignait. Il savait qu’il était du siècle d’avant. Il revendiquait cette obsolescence chic. Il n’était pas vintage, il était intemporel. Une sorte de Gainsbourg de la caméra. Un homme libre, donc incompris. Et comme tous les libres penseurs, il dérangeait. Il aurait probablement adoré lire son propre avis de décès, à condition qu’il ait pu l’écrire lui-même, avec une vanne en chute et un regard caméra pour la postérité.

La France perd sa mauvaise conscience

Si Ardisson était « l’homme en noir », ce n’était pas pour se donner un genre gothique. C’était son uniforme de combat. Noir comme son humour, noir comme sa lucidité, noir comme la télé qu’il aurait voulu, celle où l’on dit les choses, même moches. Il assumait ses amitiés douteuses, ses prises de position monarchistes, ses lectures sulfureuses. Pas pour le buzz, mais parce qu’il croyait à la complexité. Une valeur morte en 2025.

Il n’était pas là pour faire la morale, mais pour la tordre. Ardisson, c’était un peu le diable dans la lucarne. Et comme tous les diables, il avait besoin de lumière pour exister. Or la lumière, aujourd’hui, est tamisée, inclusive, sponsorisée par des yaourts sans lactose. Trop fade pour un homme qui s’habillait en ténèbres.

Il aurait pu finir ministre de la Culture dans un monde parallèle, ou directeur de France Télévisions si le monde avait eu plus de panache. Il a préféré mourir libre, sans devoir dire merci. Et c’est peut-être ça, sa dernière leçon : on peut traverser une vie de provoc sans jamais baisser la tête.

Épitaphe en néons blancs sur fond noir

Alors oui, Thierry Ardisson est mort. Mais ne comptez pas sur lui pour se taire. Sa voix continue de hanter les archives de l’INA, ses punchlines flottent sur YouTube, ses silences gênants résonnent encore dans la mémoire collective. Il était le dernier des intervieweurs à ne pas vouloir plaire. Et à une époque où tout le monde cherche des likes, c’est un crime de lèse-majesté.

Il ne reste plus qu’à espérer qu’au paradis, ou en enfer, selon la programmation, il ait droit à un dernier plateau, avec Jésus, Nietzsche et Céline en invités. Juste pour foutre un peu le bordel dans l’éternité.

Rideau. Silence plateau. On coupe. Stop magnéto.


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