Surtaxes chinoises : l’Armagnac se fait bousculer derrière le comptoir




La dernière tournée n’est pas des plus joyeuses pour les producteurs d’Armagnac : depuis que Pékin a décidé de saler l’addition des spiritueux européens, avec une surtaxe de 34,8 % en représailles aux mesures européennes contre les voitures électriques chinoises, c’est tout le Sud-Ouest qui titube. L’Armagnac, l’une des fiertés des Landes et du Gers, se retrouve en première ligne d’un duel politique dont il n’a pourtant pas commandé la tournée

Depuis plusieurs années, le marché chinois représente pour les producteurs locaux l’un des principaux débouchés à l’international, un marché de haute volée où la soif d’Armagnac est grande. Mais avec cette surtaxe à presque 35 %, les commandes risquent de se faire rares, et pour les vignerons du Sud-Ouest, c’est l’équivalent d’un coup de massue. Car, sous les douces allures de cette prune vieillie en fûts, c’est tout un pan de la tradition régionale qui se joue.

Prenez Carole Garreau, propriétaire du Château Garreau, qui coule des jours plus amers que sucrés depuis cette annonce de Pékin. Son domaine, comme tant d’autres, misait beaucoup sur le marché chinois, et le manque à gagner pourrait bien forcer certains ajustements. Le grand Marc Darroze, qui vend 60 % de sa production hors de nos frontières (avec la Chine en tête de liste), parle d’une perte sèche d’au moins 10 à 15 % de son chiffre d’affaires. Et ici, on sait que le commerce extérieur n’a rien d’une anecdote : l’export, c’est le poumon de l’Armagnac !

Des mesures qui picotent et des taxes qui déboussolent

Le problème, c’est que cette guerre des taxes a un effet boule de neige. Les importateurs chinois sont déjà invités à bloquer une caution de 34,8 % pour toute commande de spiritueux européens, histoire de préparer le terrain pour les surtaxes imminentes. Olivier Goujon, le directeur du Bureau National Interprofessionnel de l’Armagnac (BNIA), résume la situation : « On demande aux importateurs de bloquer une partie de la commande avant même que les produits ne soient taxés. C’est comme si on leur disait : “Cautionne d’avance, sinon tu trinques !” »

Le poids de cette mesure est d’autant plus lourd que le contexte économique n’est déjà pas folichon. Entre récoltes difficiles dues aux aléas climatiques et coûts de production en hausse, les exploitants avaient bien assez de leur propre menu fretin à gérer. Et voilà qu’on leur rajoute une note salée pour des enjeux qui les dépassent complètement.

Pour les producteurs, ces surtaxes chinoises tombent comme une bouteille dans un sacré piano. Olivier Goujon est bien conscient des dégâts que cela pourrait causer : « Les producteurs d’Armagnac paient la note d’une politique qui n’a rien à voir avec eux, tout ça parce que l’Europe et la France ont décidé de jouer les gros bras face aux voitures électriques chinoises. C’est l’Armagnac qui trinque, et si on ne trouve pas une solution, on va droit dans le mur. »

Avec la Chine comme deuxième marché pour l’Armagnac en termes de valeur, l’impact pourrait se ressentir sur toute la filière. Ce ne sont pas juste quelques caisses de bouteilles en moins : ce sont des dizaines de petites exploitations et d’entreprises familiales qui risquent d’avoir du mal à lever leur verre dans les mois à venir. Dans les Landes et le Gers, où chaque hectolitre compte, la menace de ces surtaxes a de quoi faire suer du bouchon.

Les vignerons sur le pont

Pour éviter la gueule de bois collective, le BNIA appelle les autorités françaises à entrer dans la danse pour dégoupiller cette bombe fiscale avant le Nouvel An chinois, période faste pour les exportations vers l’Asie. « Nous comptons sur notre gouvernement pour qu’il prenne des mesures et nous soutienne dans cette crise absurde, » exhorte Olivier Goujon. Pour lui, c’est simple : il faut une issue rapide, sans quoi le commerce entre l’Armagnac et la Chine pourrait bien s’assécher plus vite qu’un petit blanc sur un zinc en fin de soirée.

Les producteurs sont bien décidés à sauver la mise et à tout mettre en œuvre pour éviter un embargo non-officiel sur l’Armagnac, mais la pilule reste amère. « Rien ne semble arrêter l’engrenage fou dans lequel nous sommes emportés, alors qu’il s’agit de sujets politiques dont nous n’avons rien à voir, » confie Marc Darroze, qui exporte ses bouteilles dans plus d’une cinquantaine de pays. En dépit de cette bonne répartition géographique, la Chine reste incontournable, et une perte de ce marché serait une sacrée bouteille à la mer pour les vignerons.

Pour les producteurs, cette crise ne fait que rallonger une liste de soucis déjà bien longue. En plus des questions climatiques et des coûts, le secteur a traversé de multiples crises géopolitiques ces dernières années, dont les sanctions commerciales américaines, qui avaient déjà mis à mal une partie des ventes. Aujourd’hui, ce sont les querelles sino-européennes qui viennent remuer la cuve.

Cette « taxe au goût amer » soulève aussi des questions plus larges sur la place de ces produits traditionnels dans un monde de plus en plus globalisé et politisé. Pour ces petits producteurs, c’est presque une double peine : alors qu’ils mettent tout leur cœur et leur savoir-faire pour préserver un produit d’exception, ils se retrouvent pris au piège de décisions qui les dépassent.

La pression monte, mais l’Armagnac ne dégrise pas

En attendant que le gouvernement fasse (ou non) sa part, les producteurs vivent au jour le jour, entre craintes et espoirs. L’avenir de leurs exploitations est plus incertain que jamais, mais une chose est sûre : ils n’ont pas dit leur dernier mot. L’Armagnac, c’est une histoire de famille, de tradition, et aussi d’une fierté bien ancrée dans les terres du Sud-Ouest. Entre taxes, géopolitique et verres levés, l’Armagnac résiste comme il peut, tout en espérant que l’orage politique passera vite.

Pour l’heure, le Sud-Ouest attend son prochain coup de pouce – ou peut-être juste une goutte d’eau dans ce cocktail amer qui, à force, pourrait bien diluer l’héritage millénaire de l’Armagnac. Et si tout le monde trinque un jour pour célébrer la fin de cette guerre des taxes, on sait déjà ce qu’on mettra dans nos verres.


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