Lurrak : Quand les terres du Pays basque se mettent à table




À Arbonne, petit village qui respire le calme et l’authenticité entre deux bouffées d’air salin venues de Biarritz, une adresse fait le buzz sans en faire tout un plat. Pourtant, côté fourneaux, on mijote du très grand art. Lurrak (comprenez « les terres », en basque) a tout d’un grand. D’un très grand même. À mi-chemin entre la ferme-auberge revisitée et l’odyssée culinaire contemporaine, cette table orchestrée par le chef Romain Goyeneche et son complice de salle Paul Chauvet, fait valser les papilles sur des rythmes endiablés de terroir twisté

Bon, on va tout de suite mettre les pieds dans le plat, ici, pas de menu à la carte, on vous cuisine… à l’aveugle ! Oui, comme un rendez-vous galant avec le goût, où l’on découvre à chaque bouchée un nouveau chapitre d’un roman gastronomique écrit en majuscules de saveurs.

Une cuisine dans le noir mais les idées claires

Dès que l’on pousse la porte de cette maison basque rénovée, on comprend que quelque chose se trame… Et ce n’est pas qu’en cuisine. Les tables n’ont rien à déclarer : pas de menu, pas de nappe, un silence attentif. Puis le service commence, en délicatesse, comme un lever de rideau sur un opéra gustatif. La première bouchée fait l’effet d’un coup de théâtre : brochette de maquereau nappée d’un jus de lard de porc kintoa. Boum. Le mariage est osé, mais tellement bien accordé que l’on se demande s’il n’est pas passé par la mairie.

Romain Goyeneche, natif de Saint-Jean-de-Luz, ne cuisine pas seulement les produits : il les conte. Il vous les raconte même, en y mettant les formes, les textures, les nuances. Chaque plat est une déclaration d’amour à un Pays basque qui n’en finit pas de nourrir l’inspiration. Ce n’est pas une carte qu’il vous déroule, mais une topographie culinaire, entre océan caressant et montagnes gourmandes. Du vrai terroir, sans le folklore du béret et du chistera en accompagnement.

Un chef étoilé dans l’âme, et dans l’assiette

Passé par les grandes maisons, notamment David Toutain, La Mare aux Oiseaux ou encore le Crillon, le chef n’a rien perdu de sa rigueur, mais il a gagné en spontanéité. À Lurrak, il laisse libre cours à son intuition, guidée par la saison, le marché, et l’humeur du jour. Avec ses complices Martin en cuisine et Manon à la coordination, il compose chaque service comme un concert en cuisine ouverte. Pas de frime, pas de chichis : juste du goût, beaucoup de précision et une sincérité à feu doux.

Prenons cette asperge landaise, rôtie comme une starlette printanière, drapée d’un camaïeu d’herbes sauvages : ail des ours, oseille, rhubarbe, fenouil… On est au vert, mais c’est loin d’être fade. Plus loin encore, les seiches sont tagliatellisées, accompagnées de chénopodes et de kiwi presque timide. Puis arrive une barbue qui se pavane dans une sauce à la livèche, escortée de capucine et d’agrumes en robe de concombre. C’est chic, c’est choc, c’est chocogène, même !

La cave à vin : un terroir à boire

Et dans la salle ? Paul Chauvet veille, tel un sommelier alchimiste. Il a le vin dans la peau… et surtout dans la cave, où dorment pas moins de 170 références, du petit blanc à 23 euros jusqu’à l’Irouléguy qui donne des ailes. En bon chef d’orchestre, il accorde chaque plat d’un vin choisi comme une note juste. Son parcours (Caves Augé à Paris, formation chez les meilleurs) lui a donné le nez fin et le palais affûté. Et son humour, lui, n’a pas pris une ride.

Avec Constance, en salle, Paul rend l’expérience aussi fluide qu’un grand cru : jamais guindée, toujours attentive. Même les noces de diamant d’un client né dans les anciennes toilettes du bâtiment se sont transformées en fête gastronomique digne d’un conte à la sauce basque.

Lurrak, ou l’art de faire table rase

À Lurrak, tout est pensé pour bousculer les habitudes sans jamais renier les racines. La cuisine ne fait pas dans la parodie régionaliste — pas de piperade en verrine, pas de ttoro en siphon. Romain pourrait se damner pour une garbure, mais il préfère sublimer l’agneau de lait ou le pigeon de Soule dans des assiettes modernes et poétiques. Le terroir, ici, n’est pas un décor, c’est une matière vivante. Les légumes viennent des maraîchers du coin, les viandes des vallées voisines, les poissons des criées d’à côté. On est loin du circuit long : c’est de la cuisine circuit court-bouillon.

Et le dessert dans tout ça ? Un feu d’artifice ! Crème brûlée à la baie de genièvre pour un clin d’œil au gin-tonic, pomme au vinaigre de sureau pour titiller l’acide, glace au panais pour émoustiller l’étrange, et une partition chocolatée à la flouve qui ferait fondre les plus stoïques. Le sucré ici, c’est comme un rappel au théâtre : inattendu, joyeux, inoubliable.

Une auberge moderne pour gourmets terriens

Ouvert en août 2023, Lurrak s’est vite imposé comme l’étoile montante du paysage gastronomique basque. Loin de la frénésie biarrote, mais à peine à cinq kilomètres de la mer, il attire les curieux, les fins gourmets, les Arbonards du dimanche, et même les amateurs de dernière minute (le menu déjeuner à 42 euros est une bénédiction). Tout le monde y trouve son assiette, à condition de venir l’esprit ouvert et les papilles prêtes à l’aventure.

Car c’est bien cela que propose Lurrak : une aventure. On ne vient pas ici pour manger, on vient pour être étonné, désorienté, charmé. On y découvre une cuisine sincère, végétale, parfois sauvage, toujours inspirée. Une cuisine qui ne se contente pas d’être bonne : elle raconte quelque chose. Un lieu, une époque, un engagement.

Une parenthèse enchantée… et enracinée

Lurrak ne ressemble à aucune autre table. Peut-être parce qu’elle est née d’un alignement rare : celui d’un chef au sommet de son art, d’un sommelier à la main sûre, et d’un terroir si généreux qu’il suffit d’écouter la terre pour entendre le menu du jour.

À Arbonne, l’oroïtzapena (le souvenir, en basque) est gravé dans la pierre et désormais dans nos mémoires gustatives. Une adresse qui nous rappelle que le goût commence là où finit la routine. Une maison où l’on entre curieux et dont on repart ému. Une table qui vous met sens dessus dessous… mais toujours à l’endroit du plaisir.

Alors un conseil : réservez vite. Car à Lurrak, on sert le Pays basque sur un plateau. Et ça se déguste… à l’aveugle, mais avec appétit.


Discover more from baskroom.fr

Subscribe to get the latest posts sent to your email.

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *