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Humour sous haute surveillance : Quand les mots deviennent suspects




Autrefois, on balançait des vannes comme des cacahuètes sur un comptoir. Aujourd’hui, t’as intérêt à passer ta blague au détecteur de moralité, au filtre antidiscrimination, et à la bénédiction de Sainte Intersectionnalité. Sinon ? Pan ! Tribunaux médiatiques, hashtags au vitriol et bannissement express du royaume des gens fréquentables

Bienvenue en 2025, époque raffinée où les mots font plus peur que les actes, et où l’humour a troqué son nez rouge contre un gilet pare-balles.

1. Le pays où l’on riait encore (mais ça, c’était avant)

C’était un autre monde, coco. Coluche tapait sur tout ce qui bougeait, Desproges sortait ses salves sur les juifs, les curés, les chauves et même les cancéreux, Le Luron imitait Mitterrand en drag-queen, et tout le monde rigolait, ou râlait, mais sans envoyer une armée de tweets pour exiger des excuses publiques, la démission de l’humoriste et une cellule psychologique pour les âmes choquées.

Rire, c’était un sport de contact. Tu prenais une vanne dans les dents ? Tu ripostais, tu riais, ou tu t’en foutais. Mais t’appelais pas le SAMU de la morale.

Aujourd’hui, t’as intérêt à faire une blague uniquement sur ta propre catégorie. T’es roux ? Rigole sur les roux. T’es gaucher ? Balance sur les gauchers. Sinon, c’est suspect. C’est « pas ta place ». Et puis surtout : ça pourrait “blesser”. Parce qu’en 2025, l’humour est toléré, mais uniquement s’il est hypoallergénique.

2. La parole sous anesthésie : bienvenue dans le grand bain du politiquement correct

Avant, tu devais éviter de roter à table. Maintenant, faut éviter de respirer trop fort une opinion. Les mots se promènent sous escorte, les phrases passent à la douane, et chaque punchline doit avoir son visa de bienveillance.

On a remplacé la liberté d’expression par la liberté de s’exprimer… sans heurter, sans choquer, sans déranger. C’est-à-dire : sans intérêt.

Tu veux dire que t’as été mal servi au resto ? Attention, pas de propos discriminatoires contre les serveurs. T’évoques l’économie ? Pas de clichés sur les banquiers. Tu parles d’insécurité ? Gare au piège du “sentiment” , sinon, tu tombes dans la fange réactionnaire. Même un « Eh ben dis donc » peut devenir un appel à la haine dans certaines oreilles hypersensibles.

3. Les réseaux sociaux ou le ministère de la Vérité en jogging

Twitter, c’est pas un oiseau bleu. C’est un drone de surveillance idéologique. Chaque vanne y est disséquée comme une preuve au procès de Nuremberg. Instagram ? Un tribunal de l’apparence. TikTok ? La cour des miracles en accéléré.

Tu balances une blague ? Il suffit qu’un demi-influenceur s’indigne pour que le reste de la meute débarque, fourches et molaires aiguisées, prête à te faire passer pour le cousin perdu de Pol Pot.

Y’a même un métier pour ça : “militant digital de la vigilance”. Des gens payés (ou pires : bénévoles) pour guetter le moindre mot de travers, le screen, le balancer, et réclamer ta tête, ton emploi, ton chien, et tes excuses en huit langues.

4. Le syndrome du “Tu peux rire de toi mais pas de moi”

En 2025, le rire est devenu communautaire. Tu peux rire de ta caste, de ton genre, de ta minorité. Mais attention à ne pas franchir la ligne jaune vers l’autre camp. Parce que là, soudainement, t’es plus un humoriste : t’es un agresseur linguistique.

Un noir qui vanne sur les noirs ? C’est de l’autodérision. Un blanc qui dit la même chose ? C’est du racisme. Un juif qui caricature un juif ? C’est fin, subtil, introspectif. Un goy qui tente une vanne ? C’est l’Anschluss.

Même les femmes, si elles moquent les hommes, c’est punchy. Mais l’inverse ? Patriarcat, oppression, couilles toxiques.

5. Les nouveaux délateurs : les justiciers du clavier

Y’a plus besoin de police de la pensée. La milice se forme toute seule. C’est ton pote, ton voisin, ta nièce de 16 ans qui traîne sur Insta. Des gens qui ont pas lu un livre depuis 2014, mais qui te réécrivent Voltaire version TikTok avec des emojis colère.

Le monde est devenu un formulaire de signalement. Tu respires de travers ? On te “call-out”. Tu parles trop fort ? On te “cancel”. Tu fais une blague ? On lance une pétition pour interdire ton spectacle, ton sponsor, ton prénom.

Et pendant ce temps, les vrais salopards se marrent bien. Eux, ils savent que tant que t’écris rien sur Twitter, t’as le droit de faire à peu près n’importe quoi.

6. Le procès en sorcellerie du rire : Dieudonné, l’électron cramé

Ah, le phénomène Dieudonné. Celui qui a eu l’audace d’aller trop loin, ou peut-être juste pas du bon côté. Parce que soyons clairs : ce qu’il disait au début, c’était ni pire ni mieux que Coluche ou Le Luron. Mais lui, il a mis les pieds dans le plat, dans la vaisselle, dans la nappe et dans le chien. Résultat : plus de scène, plus de télé, plus de salut.

Pendant ce temps, certains humoristes labellisés “progressistes” peuvent faire les mêmes blagues avec l’absolution en bonus. C’est pas ce que tu dis qui compte, c’est d’où tu parles. Dieudo, lui, il coche pas les bonnes cases. Donc il a été jugé. Pas sur scène. Dans les médias. Verdict : excommunication.

7. Peut-on encore rire de tout ?

Bien sûr qu’on peut. Mais faut avoir les reins solides, un bon avocat, un VPN, et une réserve de gilets pare-balles. Faut surtout avoir la patience de prouver qu’une blague, c’est pas un programme politique. Que rire, c’est pas violer. Que se moquer, c’est pas exclure.

Le problème, c’est pas qu’on peut plus rien dire. C’est qu’on peut plus rien dire sans conséquences. Et ces conséquences-là, souvent, elles sont administrées par des gens qui ne comprennent ni le second degré, ni le contexte, ni la vanne. Mais qui ont beaucoup de followers.

En guise d’épilogue

Rire, c’est devenu un acte politique. Une prise de risque. Un positionnement. Et parfois, une déclaration de guerre.

Mais malgré les risques, malgré les moralistes à roulettes, malgré les hashtags vengeurs, on continue. Parce qu’à la fin, le rire, c’est le dernier refuge contre la connerie. Même quand elle est bien-pensante.

Et comme disait Desproges, ce doux anar à cravate :

« On peut rire de tout, mais pas avec tout le monde. »

Aujourd’hui, ce serait plutôt :

« On peut encore rire… mais faudra remplir un formulaire. »

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