GAL : Grosse Affaire Louche aux plaies toujours ouvertes




Caché derrière trois lettres qui claquent comme un tir en pleine rue, le GAL (Groupe Antiterroriste de Libération) a semé la terreur au Pays basque nord entre 1983 et 1987. Entre bavures sanglantes, guerre sale et raison d’État, le nouveau documentaire de la journaliste basque Sylvie Garat rouvre les valises pleines de non-dits, de larmes et de plomb. Un retour sur une époque où le Pays basque Nord servait de terrain de jeu mortifère à des barbouzes mandatés pour faire le sale boulot contre l’ETA. Quarante ans plus tard, si l’Espagne a lavé son linge sale en justice, la France, elle, garde encore la langue bien pendue… mais les yeux rivés ailleurs

Si seulement le GAL avait été un trio de musique basque un peu bourru, genre Gaita, Accordéon, Lagunak, on aurait applaudi au fronton. Mais malheureusement, c’est loin d’en être le cas. Le GAL, c’était pas des chanteurs de txalaparta, c’était des escadrons de la mort, armés jusqu’aux dents et envoyés pour zigouiller du militant ETA sur notre sol à nous, dans le coin le plus pimenté de notre territoire : le Pays basque nord.

Leur terrain de chasse ? Bayonne, Biarritz, Hendaye, Saint-Jean-de-Luz. Pas pour les plages ni les patata tortillas, mais pour traquer ceux que l’Espagne soupçonnait de semer la zizanie depuis l’arrière-boutique française. Et tant pis pour les erreurs de casting.

1983-1987 : années de plomb et de silence

On est au début des années 80, Franco est six pieds sous terre, mais son ombre plane encore. ETA, en lutte armée pour l’indépendance du Pays basque, fait pleuvoir les balles en Espagne. Et de l’autre côté de la Bidassoa, côté Basse-Navarre, Lapurdi et Soule, la France accueille, comme elle l’a toujours fait, des réfugiés basques. Résultat ? Le Pays basque nord devient l’arrière-cuisine d’ETA.

L’Espagne, excédée, sort les crocs. Officiellement, elle joue la démocratie naissante. Officieusement, elle envoie les cow-boys. Et le GAL surgit comme un coup de fusil en plein réveillon. Mercenaires, flics ripoux, militaires zélés et têtes brûlées du milieu bordelais et marseillais sont embarqués pour une mission très spéciale : éliminer les activistes pro-ETA, coûte que coûte.

Le hic ? La chasse au basque se fait sans juge ni avocat. Et tant pis si on tire sur le mauvais pigeon.

Tirs croisés et grosses bavures

Prenez Robert Caplanne. Biarrot, pas du tout lié à ETA, juste au mauvais endroit, au mauvais moment. C’était le 24 décembre 1985, veille de Noël. Cadeau sanglant : rafale de plomb, blessure grave, décès quelques jours plus tard. Bilan ? « Oups, erreur de cible », avouera plus tard un des tireurs. On a connu des excuses plus convaincantes. Sa fille, elle, ne pardonne pas à ceux qui ont payé les doigts crochus du crime.

Mais le quartier qui a le plus morflé, c’est le Petit Bayonne. Et là, c’était pas juste un coup de feu dans la nuit : cinq bars visés, neuf personnes éliminées. Le quartier aux allures de village devient terrain miné. Les habitants flippent de sortir prendre un canon, la peur s’invite jusque dans les ruelles les plus étroites. Pas un conte de Noël, mais un cauchemar basque bien réel.

Sylvie Garat, une parole libérante

C’est dans cette ambiance de silence, de douleurs tues et de trous noirs dans les archives que s’avance Sylvie Garat. Journaliste, documentariste, mais surtout fille du pays, elle gratte là où ça fait mal avec GAL : au nom de la raison d’État. Pas un film à regarder entre le fromage de brebis et la confiture de cerise, mais un nécessaire rappel à l’ordre de l’Histoire.

Grâce à des témoignages exclusifs, souvent inédits, elle fait parler les gueules cassées de l’époque, les familles des victimes, les survivants aux cicatrices invisibles. On y entend aussi bien la langue de Molière que celle d’Etxepare. Et pour cause : au-delà de la politique, c’est une mémoire basque, intime, qui remonte à la surface. Le premier témoignage, souvent aussi le dernier, pour celles et ceux qui, quarante ans plus tard, osent enfin dire « j’ai vu, j’ai souffert, j’attends toujours une explication ».

La parole, mais pas encore la justice

Côté espagnol, au moins, on a mis les mains dans le cambouis. Le GAL est devenu un scandale d’État, un feuilleton politico-judiciaire à rebondissements. Résultat ? Quatorze personnalités jugées. L’ancien ministre de l’Intérieur, José Barrionuevo, a fait un petit séjour derrière les barreaux. Pas de quoi repeindre une cellule, mais au moins symbolique. Même le secrétaire d’État, Rafael Vera, y est passé. À croire que là-bas, quand on fait le ménage, on ne se contente pas de passer un coup de balai.

Mais en France ? Nada. Que dalle. Silence radio.

27 morts sur notre territoire, des attentats menés sous nos fenêtres, et pourtant, pas un ministre Mitterrandien n’a mis les pieds à Bayonne, même pas pour déposer une gerbe. Aucun juge ne s’est vraiment demandé si, par hasard, on n’aurait pas un peu laissé faire. Ou participé. Ou regardé ailleurs. Les mercenaires attrapés ont été jugés, mais les têtes pensantes ? Mystère et boule de gomme.

La raison d’État, cette grande muette

Alors la grande question, celle qui plane comme un vautour sur les cimes de la Rhune : la France savait-elle ? A-t-elle fermé les yeux, voire filé un coup de main aux barbouzes du GAL pour calmer les ardeurs indépendantistes et surtout, éviter que ça déborde côté français ?

Sylvie Garat a tenté d’en savoir plus. Elle a appelé les politiques d’hier, sonné aux portes des anciens ministres. Beaucoup ont répondu : circulez, y’a rien à voir. Quelques-uns ont accepté de parler. Jean Glavany, ex-chef de cabinet de Mitterrand, y va de son commentaire un brin embarrassé. Pierre Joxe, ancien ministre de l’Intérieur, confesse ses doutes sur l’origine du GAL. C’est déjà ça. Mais pas de quoi faire tomber une République.

Une quête de vérité qui tangue encore

Ce documentaire est un pavé dans l’eau trouble de la mémoire collective. Un appel à la justice. Une tentative de recoller les morceaux d’un puzzle qu’on a planqué dans le tiroir des affaires gênantes. Il ne s’agit pas de juger l’Espagne ou de pointer la France du doigt. Il s’agit de regarder en face ce qui s’est passé entre 1983 et 1987 sur notre sol, chez nous, dans les bistrots qu’on fréquente encore, sur les trottoirs qu’on foule sans savoir ce qu’ils ont absorbé.

1983–1987 : quatre ans d’épouvante

Quelques dates qui marquent comme des coups de matraque :

  • 1983 : Lasa et Zabala, deux activistes basques, enlevés à Bayonne. Leurs cadavres seront retrouvés… douze ans plus tard, enterrés en Espagne.
  • 1984–1986 : ça pète de partout. Bombes, voitures piégées, mitraillages. Hendaye, Bayonne, Saint-Jean, Biarritz, tout le monde y passe.
  • 1985 : Robert Caplanne, citoyen lambda, tombe sous les balles.
  • 1987 : dernier attentat à Hendaye. Et hop, la France arrête une flopée de réfugiés. Coopération franco-espagnole. Rideau sur le GAL.
  • 1988 : le juge Garzón à Madrid récupère l’affaire, et là, ça balance. Policiers, hauts fonctionnaires, tout le monde se met à table.

Un film pour panser, pas pour pointer

Avec GAL : au nom de la raison d’État, Sylvie Garat ne joue pas à Columbo. Elle n’essaie pas de désigner des coupables à la louche. Elle redonne surtout une voix aux oubliés, aux silencieux, aux traumatisés. Elle ouvre la voie à une vraie reconnaissance, sans laquelle aucune réconciliation n’est possible.

Alors que reste-t-il ? Des questions. Des fantômes. Des plaies pas refermées. Et l’impression tenace que la République, parfois, préfère la politique de l’autruche à celle de la justice.

Mais au moins, maintenant, il y a des images. Des mots. Des visages. Et la certitude que, dans cette affaire, on ne pourra plus dire qu’on ne savait pas.

Conclusion :

Le GAL, c’est pas juste un sigle poussiéreux du passé. C’est un pan d’Histoire où la République a préféré le silence aux réponses, la distance aux condoléances. Quarante ans plus tard, le Pays basque n’a toujours pas digéré ces morts en pleine rue, ces fusillades sans sommation, ces zones d’ombre qu’aucun politique ne semble vouloir éclairer. Grâce au courage de celles et ceux qui témoignent, et au travail de Sylvie Garat, la mémoire sort enfin du mutisme. À défaut d’avoir la justice, les victimes ont désormais une voix. Et elle porte loin. Même au-delà des montagnes.

Un documentaire poignant, à découvrir sans œillères ni béret trop enfoncé sur les oreilles. Parce que la vérité, elle, ne se planque pas à la frontière.


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