Dans la grande serre algorithmique de Netflix, où poussent séries et mini-séries à un rythme de champignons sous UV, surgit un spécimen venu d’Espagne qui a fait germer l’inattendu. Son nom ? El Jardinero. Un titre qui sent bon l’engrais organique, la passion végétale et… le crime prémédité. Débarquée sur la plateforme le 11 avril, cette série à la chlorophylle noire a arraché le trône de “Adolescence” et coupé l’herbe sous le pied de “Black Mirror”. Rien que ça. Mais faut-il vraiment planter son regard dans les six épisodes de ce thriller hispanique ? Évidemment que oui ! Mais avec gants de jardinage, sécateur bien aiguisé, et une tolérance pour les clichés un peu fanés
Elmer Jurado, prénom de bibliothécaire timide, nom de cartel basque, est un garçon sans émotions depuis un accident de voiture dans sa jeunesse. Ni sourire, ni larmes, ni panique devant une facture EDF. Sa daronne, elle, a décidé de lui offrir un avenir fleuri : jardinier modèle… et tueur à gages sans scrupules. Car dans la famille Jurado, l’engrais est 100 % organique, 0 % légal : les cadavres font office de compost. Une vraie entreprise familiale, mais sans comité RSE.
Et puis un jour – car il faut toujours un “et puis un jour” – entre en scène Violeta, institutrice au charme discret, future cible… et étincelle de l’âme morte d’Elmer. L’amour, cet insecticide contre la routine meurtrière.
Casting : sang pour sang convaincant
Dans le rôle du jardinier mutique, Álvaro Rico – ex-bad boy d’Élite – sème ici une performance étonnamment sobre. Glacial au début, il laisse peu à peu poindre la rosée d’une humanité refoulée. Moins caricatural que dans ses précédents rôles, il taille ici dans le vif du sujet : comment être un homme quand on n’en ressent plus rien ?
Face à lui, Cecilia Suárez campe une mère aussi charmante qu’effrayante. Une sorte de Monique de “Desperate Housewives”, passée chez Pablo Escobar. Elle est glaçante comme un gel tardif sur un cerisier en fleur. On la sent prête à transformer son fils en engrais, si d’aventure il prenait racine ailleurs que dans ses ambitions à elle.
Quant à Catalina Sopelana, en Violeta au regard trouble, elle apporte la douceur nécessaire pour faire croire, ne serait-ce qu’un instant, que l’amour peut déraciner un tueur.
“El Jardinero”, c’est un peu “Dexter” passé au paella-mixer, avec un soupçon de “You” pour le côté stalker romantique, un zeste de “Breaking Bad” familial, et un assaisonnement telenovela pour faire bonne mesure. Le tout arrosé de séquences poétiques sur la beauté des fleurs, façon “tueurs et pensées sauvages”.
Le rythme est plutôt bien tenu, l’image léchée (mention spéciale aux scènes de nuit dans les serres, où les ombres dansent entre les bégonias), et la bande-son oscille entre mélancolie et tension avec une maîtrise qui ferait rougir une rose anglaise.
Les racines du mal… et du succès ?
Pourquoi ce succès fulgurant ? D’abord, parce que Netflix raffole des thrillers à double lecture : le mal comme symptôme d’un drame intime. Ensuite, parce que le duo mère-fils déraillant fascine toujours (on pense à Norman Bates, mais avec un diplôme de paysagiste). Enfin, parce qu’on aime les monstres qui tombent amoureux. Ça humanise. Ça intrigue. Et ça donne, parfois, de très bons épisodes.
S’ajoute une dose de mystère bien dosée : pourquoi Violeta est-elle sur la liste noire ? Quelle est la véritable histoire derrière l’accusation dont elle est victime ? Et ces deux flics aux airs de Dupont et Dupond sous Xanax : seront-ils capables de remonter la piste, malgré leur flair en berne et leur hiérarchie qui les traite comme des jardiniers du dimanche ?
Mais voilà, tout n’est pas rose dans le jardin d’Elmer. Si la série pousse bien sur les premières heures, elle commence à faner en fin de parcours. Le twist final, censé nous cueillir par surprise, ressemble plus à un pot de fleurs renversé par un chat. Il ne répond pas à tout, et certains fils narratifs (ou ficelles trop visibles) restent en plan, comme une haie jamais taillée.
On voit aussi venir certains retournements à trois kilomètres, même avec des lunettes embuées : que l’amour va perturber Elmer, que maman n’est pas aussi indéboulonnable qu’elle le croit, que les policiers ont une carte à jouer… Bref, pas de quoi désherber son emploi du temps pour un deuxième visionnage.
La série alterne entre répliques ciselées (“L’amour, c’est comme un jardin mal entretenu : si tu n’arroses pas, tout crève… sauf les mauvaises herbes”) et moments de lyrisme un peu forcés, du genre “Les fleurs ne mentent jamais, mais les hommes, si”.
Mais certains dialogues méritent d’être encadrés dans un herbier de citations cultes. Notamment lorsque Chinia, la mère, souffle à son fils cette perle : “Tu ne dois pas ressentir, Elmer. Tu dois entretenir.”
Vaut-elle vraiment le détour ?
“El Jardinero” n’est pas le thriller de l’année. Il n’a ni la complexité d’un “Black Mirror”, ni la profondeur sociétale d’“Adolescence”. Mais il a cette petite graine d’originalité, ce goût de romarin trempé dans le sang, ce parfum de tabou familial qui fait mouche.
C’est une série qui pousse dans des zones d’ombre, sans faire l’économie d’un peu de lumière. Une œuvre imparfaite mais attachante, qui préfère les serres humides aux grands plateaux ensoleillés. Un jardin secret dont on ressort avec quelques questions, quelques frissons… et l’envie de regarder ses plantes autrement.
Verdict final : 3,5 sécateurs sur 5
À binge-watcher si vous aimez les thrillers qui sentent la terre, les mères possessives à la tronçonneuse affective, les histoires d’amour entre deux pots de primevères et les tueurs à gages avec un abonnement Nature & Découvertes.
À quand la saison 2 ? On la sent germer, cette suite.