Dans la pharmacopée des amours contrariés, Antoine Prioux et Eliza Castagné viennent d’avaler une sacrée pilule. Ces deux pharmaciens corréziens, plus proches du serment d’Hippocrate que du diktat administratif, ont été sanctionnés par le Conseil régional de l’Ordre des Pharmaciens pour avoir distribué des médicaments… à l’unité. Une pratique qui, à leurs yeux, relevait du bon sens et d’un peu d’amour-propre, mais que la réglementation a digérée comme un suppositoire sans vaseline
Le 30 avril dernier, le couperet est tombé : six mois d’interdiction d’exercer, dont quatre avec sursis. Et voilà notre duo condamné non pour trafic, dopage ou contrefaçon, mais pour avoir découpé du blister. Dans cette histoire, c’est la solidarité qui a été mise sous ordonnance.
L’ordonnance du cœur
C’est en 2019, sous la pression d’une pénurie de Prednisolone, un anti-inflammatoire qui ne manque pourtant pas de mordant, qu’Antoine et Eliza ont décidé de faire tomber les gélules du panier en plastique. Faute d’approvisionnement, et pour éviter de prescrire des boîtes entières là où trois cachets suffisent, ils se sont mis à fractionner les traitements. À découper les plaquettes pour donner pile la dose prescrite. Une forme de strip-tease médicamenteux, milligramme après milligramme, où chaque comprimé livré devenait un acte militant.
« Quand tu reçois trois boîtes par semaine et que la moitié finit à la poubelle, faut pas s’étonner que t’aies les nerfs en pelote », résume Antoine. Alors ils notent tout : numéro de lot, date de péremption, posologie, et même, on imagine, une petite caresse au cachet avant de le glisser dans le sachet kraft. Du sur-mesure façon haute couture pharmaceutique. Du love en poudre.
Mais le problème, c’est que la loi, elle, préfère l’amour en boîte. Et pas n’importe laquelle : la boîte entière, avec son opercule, son code barre, sa notice illisible et son goût de carton recyclé. Donner un demi-blister, c’est jouer avec le feu. Et dans le couple Ordre-des-pharmaciens / législateur, y’a pas de place pour les polyamoureux.
⚠️Hors des clous, mais pas hors des cœurs
« On savait très bien qu’on était en dehors du cadre réglementaire, mais on le revendique. » Voilà. C’est dit. Antoine, c’est un peu le Robin des bois du Doliprane. Avec Eliza en complice douce-amère, façon Bonnie & Clide Doliprane. Ensemble, ils veulent soigner autrement. Pas plus, pas moins. Juste… autrement.
Ils ont même élargi leur pratique à d’autres médocs : antibiotiques pour enrayer la résistance bactérienne, anxiolytiques pour éviter les accoutumances, opioïdes pour limiter la dépendance. Des substances sérieuses, puissantes, parfois addictives, qu’ils ont appris à délivrer comme des mots doux. Avec parcimonie, avec justesse. Bref, avec respect.
Et pourtant, les voilà accusés. Comme si leur bon sens médical était une pathologie. Un virus à éradiquer. Une hernie réglementaire qu’on veut opérer à coup de procédures disciplinaires.
Système malade cherche remède en vain
Car le cœur du problème, c’est bien le système. Ce bon vieux système de santé, en fin de vie sur son lit d’hôpital, sous perfusion de dogmes économiques et de pénuries chronique. Antoine le dit sans détour : « Plus les gens consomment, plus on gagne de l’argent. On n’en peut plus. »
Et là, Dr Osasuna lève le stéthoscope : quand un pharmacien dénonce que le modèle économique le pousse à vendre plus pour gagner plus, on ne lui tend pas un bonbon mentholé. On l’ausculte. On l’écoute. Et on se demande si ce n’est pas le système qui mérite six mois d’interdiction d’exister.
Antoine et Eliza ont voulu expérimenter un autre modèle. Une forme d’amour libre, sans ordonnance préalable. Une désobéissance douce, mais argumentée. Comme une rupture avec les habitudes, pour mieux renouer avec les patients. Résultat : condamnation, incompréhension, et comprimés coupés au scalpel du jugement.
Une convocation… sans ordonnance de protection
Tout a commencé par un article de Mediapart vantant l’audace du couple. On s’en serait presque fait un petit orgasme intellectuel : enfin des pharmaciens qui innovent ! Mais à peine le sujet publié que le président du Conseil régional de l’Ordre des pharmaciens bondit sur son clavier. Direction : chambre disciplinaire.
« On y est allé tranquilles, sans avocat, en mode tisane et bonne volonté », rigole Antoine (jaune). Ils pensaient qu’on reconnaîtrait leur engagement dans la lutte contre les déserts médicaux. Ils pensaient qu’on comprendrait leur combat. Eh ben… c’est raté.
Pendant qu’ils tentaient de justifier leur pratique devant le Conseil, ce même Ordre relayait une campagne de l’ANSM sur les méfaits d’une consommation excessive de somnifères et d’anxiolytiques. Une ironie aussi épaisse qu’un sirop pour la toux en hiver.
Gaspiller ou désobéir, il faut choisir
Le plus douloureux dans cette affaire, c’est ce gâchis programmé. « Je préfère mille fois donner un cachet à quelqu’un qui en a besoin que de le foutre à l’incinérateur », lâche Antoine. Et on le comprend. Les médicaments, majoritairement produits dans des conditions déplorables à l’autre bout du monde, méritent mieux qu’un aller simple vers la poubelle biohazard.
Mais voilà : selon la loi, on ne peut pas donner à autrui ce qui reste d’une boîte entamée. Même avec un sourire, même avec la meilleure traçabilité du monde. La logique veut qu’on brûle. Et qu’on refasse venir d’Inde ce qu’on avait déjà sous le comptoir. Et là, Doc Osasuna ne manque pas de rappeler à ceux qui gouvernent, qu’ils nous bassinent pour réduire l’empreinte carbone alors qu’ils inventent des lois qui vont à l’encontre de l’écoresponsabilité.
Alors Antoine et Eliza disent stop. Ils lancent une pétition. Ils font appel. Cette fois, avec une juriste. Pas pour gratter une réduction de peine, mais pour injecter une dose de bon sens dans les veines d’un système un peu trop sous Lexomil réglementaire.
Le système a besoin d’un gros câlin
Dans cette histoire, personne n’est contre la règle. Ce que contestent Antoine et Eliza, c’est l’obsolescence du cadre. Sa rigidité. Son manque de cœur. Ce modèle où la pilule passe mieux quand elle est rentable, et non quand elle est utile.
L’amour du métier, ils l’ont. Le respect du patient aussi. Ce qu’ils cherchent, c’est un système qui accepte les exceptions quand elles sauvent des vies. Un système qui ne condamne pas le bon sens sous prétexte qu’il n’est pas labellisé CE.
Alors voilà. C’est dit, c’est prescrit, c’est assumé. Antoine et Eliza continueront à se battre. Pour une pharmacie plus humaine, plus durable, plus sensée. Ils veulent pouvoir doser avec délicatesse, fractionner avec tendresse, adapter avec intelligence. En somme : aimer leur métier, sans se faire taper sur les doigts dès qu’ils dévient d’un protocole daté.
Et vous, chers lecteurs, vous pouvez signer leur pétition. Ou au moins leur envoyer un petit mot doux. Un cœur sur Doctissimo. Un emoji comprimé. Parce que dans cette histoire, il ne s’agit pas que de médicaments. Il s’agit d’une médecine de l’amour, un peu artisanale, un peu punk, mais résolument vivante.
À la semaine prochaine, si le Conseil de l’Ordre ne me met pas à la porte pour “exercice journalistique hors protocole”.
D’ici là, évitez les surdoses de bureaucratie. Et pensez à votre pharmacien : il vous aime… à l’unité.
Dr Osasuna
Expert en prescriptions affectives et cachets d’humanité