Faut croire qu’au Pays basque, les flammes des bûchers n’ont pas cramé que du bois sec et des pauvres bougresses. Elles ont aussi allumé un sacré brasero dans la mémoire collective. Depuis que l’Inquisition a joué les DJ morbides en mixant sermons et fagots, les villages du Labourd et de Navarre gardent une odeur de roussi dans leurs histoires. Et les habitants, eux, n’ont jamais cessé de chuchoter que les collines, les grottes et les forêts restaient hantées par celles qu’on appelait « sorginak »
Après les grandes flambées de 1609 et 1610, le décor change. Les autorités religieuses, rassasiées d’aveux tirés au chausse-pied et de confessions arrachées à coups de brodequins, lèvent un peu le pied. Mais dans les chaumières, autour du feu (le vrai, celui qui chauffe sans brûler les voisins), les histoires s’enchaînent comme des épisodes de série Netflix.
On raconte les sabbats à Zugarramurdi comme si on y avait dansé la veille. On se file le mot que les laminak — ces petits elfes poilus du coin — bossent encore la nuit dans les rivières. On jure que les grottes bruissent de murmures de femmes parties trop tôt en fumée. Bref, la mémoire basque garde le chaudron sur le feu, à feu doux mais constant.
Les sorcières deviennent des mascottes
Avec le temps, ce qui faisait trembler les curés finit par faire marrer les gamins. La « sorgina », la vieille sorcière aux cheveux hirsutes, devient la mascotte locale. On la peint sur les murs, on la décline en magnets pour touristes, on en fait des festivals où l’on danse déguisé comme au carnaval.
Zugarramurdi a même recyclé sa grotte en parc d’attraction historique, version « sabbat express » pour visiteurs du dimanche. On y vend du vin « diabolique », des fromages « ensorcelés » et on monte des pièces de théâtre qui rejouent les procès façon soap opera médiéval. L’Inquisition aurait sûrement crié au blasphème… mais ça fait marcher la boutique.
Un héritage qui colle aux basques
Reste que derrière le folklore à paillettes, la cicatrice est profonde. Les familles du Labourd savent qu’une arrière-arrière-grand-mère a fini en fumée sur simple rumeur de jalousie ou dispute de voisinage. Dans les montagnes, les vieux racontent que les esprits rôdent encore au crépuscule, histoire de rappeler qu’on n’efface pas une mémoire collective comme on efface un tableau noir.
Et puis, faut dire que les Basques ont la rancune solide : quand on a collé au feu des dizaines de femmes pour des histoires de plantes, de rêves bizarres ou de cabales inventées, ça laisse une tache plus tenace qu’un vin rouge sur une nappe blanche.

Du bûcher au barbecue culturel
Aujourd’hui, le sabbat est devenu une sorte de barbecue culturel. On ne grille plus de sorcières, mais on vend des chipolatas sous des banderoles « Aquelarre ». Les jeunes viennent écouter du rock dans les grottes où jadis on imaginait Belzébuth faire claquer ses sabots. Les historiens, eux, sortent leurs loupes et leurs bouquins pour rappeler que tout ça, c’était surtout un gros délire d’Inquisiteurs en mal de pouvoir.
Bref, l’héritage est là, entre tourisme, folklore et mémoire tragique. Et les Basques ont réussi ce tour de passe-passe digne d’un vieux grimoire : transformer une plaie historique en marqueur identitaire, où l’on rit, où l’on danse, mais où l’on n’oublie jamais que derrière la sorcière de carte postale, il y a une vraie femme qui, un jour, a crié sous les flammes.
Verdict journalistique
En résumé ? Le Pays basque a pris sa vieille marmite d’horreurs et l’a recyclée en pot-au-feu culturel. Ça sent encore le soufre, mais on y trempe désormais des bouts de folklore, des légendes de grand-mère et une pincée de marketing bien torché. La sorcière, de coupable de tous les maux, est devenue une égérie qui fait tourner la boutique et bosser les guides touristiques. Comme quoi, même le diable n’aurait pas pensé que son bal des damnées finirait en business plan.
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