Dossier Nation basque – 4 : Made in Euskadi : comment l’industrie basque pourrait bâtir l’État de demain




Entre usines high-tech, machines-outils qui envoient du lourd et parcs d’éoliennes qui tournent plus vite que les têtes d’un touriste après trois pintxos, l’industrie basque carbure. Mais peut-elle, à elle seule, tenir la baraque d’un futur État souverain ? Enquête au cœur d’un pays où la clé à molette est aussi sacrée que le jambon de Bayonne

1. Panorama des filières-clés : l’acier et la cervelle

Le Pays Basque, c’est pas que des frontons et des ferias, c’est aussi des boulons, des turbines et des cerveaux en ébullition. L’Euskadi industrielle, c’est un peu comme un vieux moteur diesel bien rodé : ça tourne sans bruit, mais ça pousse sévère.

L’aéronautique ? Elle décolle depuis des années. Safran, ITP Aero et tout un écosystème de sous-traitants font ronronner les usines de Zamudio à Tarnos. Les types bossent au micron près, et pas question de se la couler douce. Ici, on usine comme d’autres tricotent : avec patience et fierté.

La machine-outil, c’est l’autre fierté locale : des bijoux de précision fabriqués à Elgoibar ou Bergara, qui partent ensuite équiper des usines à Detroit ou Shanghai. Si les Basques étaient un peuple d’orfèvres, ce serait dans l’acier trempé.

Et les énergies ? Entre la houle d’Hendaye et les éoliennes offshore de Bilbao, la région surfe sur la transition verte. L’hydrogène fait déjà partie du vocabulaire local, au même titre que le “txakoli” et le “béret noir”.

Dans le Nord, côté français, on mise plus sur l’agroalimentaire et le tourisme, mais certaines PME s’invitent aussi dans la danse technologique : à Bayonne, des start-up inventent des capteurs agricoles dignes de la NASA, pendant qu’à Anglet, on imprime des pièces en 3D pour les boîtes de surf.

Bref, le Pays Basque a tout d’un petit dragon industriel… mais sans la fumée.

2. Portraits : trois PME et un labo qui envoient du bois (et du watt)

Itziar Machines (Elgoibar) : Dans cet atelier où la limaille d’acier sent presque la confiture, le patron, Jon, balance : “On fabrique des machines qui font des machines. Ici, c’est pas du PowerPoint, c’est du couple moteur !“. 80 salariés, 40 % d’export, et un carnet de commandes plein jusqu’à 2027. L’entreprise carbure à la sueur et au savoir-faire, et ça se voit.

EnerBasque (Bilbao) : Start-up montée par trois ingénieurs passés chez Iberdrola, qui ont décidé que l’hydrogène, c’était pas que pour les manuels de chimie. Leur pile à combustible made in Euskadi équipe déjà des bus à Gasteiz. “On veut prouver qu’un petit pays peut produire sa propre énergie propre“, rigole Ane, la cofondatrice. “Et on veut faire ça sans vendre notre âme aux géants de Madrid ou Bruxelles.

BaskFood (Hasparren) : Une boîte agroalimentaire qui marie la tradition et la tech : capteurs connectés sur les salaisons, algorithmes pour prédire la maturité du jambon (oui, sérieux). “Chez nous, le jambon, c’est comme le vin : faut savoir lire le temps et le gras“, dit Peio, le patron moustachu. Résultat : un produit premium qui s’exporte jusqu’à Tokyo.

Le centre Tekniker (Eibar) : laboratoire de R&D fédérant 300 chercheurs, moitié geeks, moitié artisans. Ils bossent sur des robots de soudure capables d’apprendre en observant les anciens. “On code, mais avec des gants de cuir“, balance Maialen, ingénieure chef d’équipe.

Ces quatre-là, ensemble, incarnent un Pays Basque où la matière grise n’a rien à envier à la matière première.

3. Exportations & chaînes de valeur : entre frontières et filières

Faut pas se mentir : sans la France et l’Espagne, les entrepôts basques tourneraient à vide. Les trois quarts des exportations prennent la route vers Madrid, Toulouse ou Bordeaux. Mais le Pays Basque joue aussi dans la cour mondiale : ses machines finissent souvent à Shanghai, ses éoliennes à Copenhague, ses fromages à New York.

Le port de Bilbao est le poumon de ce commerce : plus de 35 millions de tonnes de marchandises par an, avec un appétit d’ogre pour les conteneurs. Bayonne, plus petit mais costaud, sert de relais logistique pour le Nord.

Problème : en cas d’indépendance, faudrait gérer les frontières douanières, les normes, la TVA… “Pas simple de faire passer un lot de piments d’Espelette et des drones de surveillance sous le même tarif commun“, rigole un douanier. Mais le défi pourrait aussi pousser les Basques à créer leur propre label de qualité industrielle, façon “EuskalTech inside”.

En attendant, les boîtes jonglent entre trois législations, deux monnaies et un accent unique. Résultat : une flexibilité que même les Japonais leur envient.

4. Priorités d’investissement : entre marteau-pilon et cloud computing

Pour bâtir l’État industriel de demain, il faudra investir sec : infrastructures, numérique, formation. “On a des bras, maintenant il faut des cerveaux connectés“, résume un syndicaliste d’Eibar.

Les priorités ? L’industrie 4.0 (automatisation, IA, fabrication additive), l’hydrogène (produit localement) et les ports (Bilbao, Pasaia, Bayonne) qui devront devenir des hubs multimodaux. Le tout sans flinguer les paysages, parce que le tourisme reste une vache à lait qu’on ne veut pas effaroucher.

Les économistes estiment qu’il faudrait investir l’équivalent de 3 % du PIB régional par an pendant dix ans pour moderniser les filières. “Mais bon, ici, on sait lever le coude avant de lever des fonds“, blague un entrepreneur. Entre deux réunions, il rêve déjà d’un fonds souverain “EuskoKapital” qui financerait les pépites locales sans passer par les banquiers madrilènes.

Le défi est clair : transformer un patchwork d’entreprises familiales en un réseau cohérent, capable de peser face aux géants européens.

5. Conclusion : dix ans pour forger un destin industriel

Alors, le “Made in Euskadi” peut-il vraiment soutenir un État ? Les chiffres font pas tout, mais ils causent : 25 % du PIB régional vient de l’industrie, contre 14 % en moyenne dans l’UE. Autant dire que les Basques ont déjà un pied dans le futur. Reste à savoir s’ils auront les reins pour assumer le reste.

Comme le résume Peio, notre artisan visionnaire : “On n’a peut-être pas de pétrole, mais on a des tournevis.” Et si l’État basque naissait un jour, il pourrait bien ressembler à un grand atelier collectif : bruyant, ingénieux, un peu bordélique… mais foutrement efficace.

Dans ce pays où les marteaux chantent presque autant que les tambours, l’avenir pourrait bien se frapper à chaud.


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