Mardi 10 décembre, à Dancharia, le thermomètre affichait un froid piquant, mais la tension était bien plus chaude du côté des douanes. Entre la vente légitime, le trafic à grande échelle, et les contrevenants amateurs, le poste-frontière avait des airs de zone de non-droit parfumée à la clope bon marché. Un conducteur s’était fait alpaguer avec pas moins de 16 cartouches de cigarettes dans son coffre, confisquées sur-le-champ par les douanes. Une addition salée de 500 € et une énorme contrariété plus tard, l’homme repartait à vide, ses espoirs de faire des économies en fumée
La frontière de Dancharia est une institution à elle seule. Les ventas rutilantes, véritables temples de la consommation transfrontalière, attirent des clients par centaines, surtout en période de fêtes. Mais elles sont aussi le cauchemar des buralistes français, qui voient leurs revenus partir en fumée à mesure que leurs clients traversent le pont pour acheter des clopes à moitié prix.
Le nouveau shérif est dans la place
Jean-Marie Girier, le tout nouveau préfet des Pyrénées-Atlantiques, avait chaussé ses bottes pour assister à cette opération musclée des douanes et de la gendarmerie. Objectif ? Réaffirmer la règle des quatre cartouches par personne majeure. « Le rappel est indispensable, car beaucoup pensent qu’ils peuvent remplir leur coffre comme un cigarettier à plein régime, ce qui est faux», a martelé Yann Tanguy, directeur régional des douanes de Bayonne.
Avant mars dernier, la limite était d’une seule cartouche par personne, mais l’Union européenne a imposé un assouplissement. Désormais, quatre cartouches sont autorisées, ce qui n’empêche pas certains de charger jusqu’à l’épuisement de leurs amortisseurs. Et les buralistes, eux, grincent des dents.
François Dupin, président de la Fédération départementale des buralistes Pyrénées-Atlantiques Pays Basque, ne mâche pas ses mots : « On veut des mesures fortes, car à ce rythme, on va finir en asphyxie économique.» Et pour cause, avec une baisse de 12 % des ventes de tabac en France cette année, les buralistes subissent de plein fouet les conséquences de cette consommation transfrontalière.
Ce sont douze débits de tabac qui ont baissé le rideau en deux ans dans les Pyrénées-Atlantiques, souvent dans des zones rurales déjà économiquement fragiles. « On oublie souvent l’impact social de cette évasion commerciale. Derriere chaque fermeture, c’est une famille, un commerce de proximité qui disparaît», rappelle-t-il, entre deux bouffées d’indignation.

Fumer, c’est tricher ? Pas à Dancharia…
Le prix du tabac est un éléphant dans la pièce. En France, le paquet frôle les 12 €, contre 5,50 € de l’autre côté de la frontière. Avec une différence aussi énorme, pas étonnant que la tentation soit forte. Mais les buralistes, comme Philippe Coy, président de la Confédération nationale des buralistes, veulent harmoniser cette fiscalité au niveau européen. Une utopie ? « La Belgique commence à augmenter ses taxes. Pourquoi pas nous ?»
En attendant, les contrevenants jouent à cache-cache avec les douaniers, qui ne chôment pas. Avec 12 tonnes de tabac saisies cette année, dont 8,7 tonnes en avril, ils mènent une guerre d’usure contre les trafiquants. Mais comme le rappelle Yann Tanguy, les circuits illégaux de cigarettes sont souvent liés à des réseaux criminels bien plus vastes, englobant stupéfiants et blanchiment d’argent.
« Ils sont nombreux à ne pas savoir qu’ils risquent gros», précise un douanier. En plus de l’amende, les contrevenants voient leur marchandise saisie, souvent avec beaucoup de frustration à la clé. Mais les ventas espagnoles n’ont aucune obligation d’informer les clients sur la législation française, et cela joue en leur faveur. Des clients mal informés, un marché en distorsion, et une surveillance renforcée : la frontière basque est au cœur d’une guerre commerciale silencieuse.
La solution, selon les buralistes, est double : « revenir à la limite d’une cartouche et aligner les politiques fiscales en Europe ». Facile à dire, mais la réalité politique complique les choses. Pour l’instant, les contrôles douaniers restent le seul levier opérationnel, et ils se poursuivront sans relâche. Mais si rien ne change, les buralistes risquent de continuer à voir leur activité partir en fumée. Et ça, c’est une vraie clope dans le bec.
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