Biarritz : la « Négresse », un point noir toponymique




Le quartier de la Négresse à Biarritz pourrait bientôt perdre son nom. La cour administrative d’appel de Bordeaux s’est saisie de cette question épineuse, et le rapporteur public a tranché dans le vif : le terme est jugé « stigmatisant » et devrait disparaître. Retour avec un peu d’humour noir sur un imbroglio juridique, mémoriel et sémantique où Histoire et dignité humaine s’entrechoquent

La Négresse est donc au centre d’une polémique. Non, on ne parle pas ici d’un club de jazz underground ni d’un roman oublié, mais bien d’un quartier biarrot dont le nom fait grincer des dents. À l’origine de cette appellation, un mystère parfumé d’Histoire : selon les récits, une femme noire aurait servi dans une auberge du coin sous Napoléon. Depuis, le terme est resté accroché comme une étiquette tenace.

Mais voilà, ce nom qui claque comme une insulte au vent atlantique n’est plus du goût du jour. L’association Mémoires et Partages, spécialisée dans le travail de mémoire sur la colonisation et la traite négrière, a décidé de remonter les manches et d’attaquer le problème à bras-le-corps : « Négresse », c’est raciste, sexiste et incompatible avec la dignité humaine, martèle-t-elle dans une colère noire !

Un tribunal et des arguments qui volent bas

Pas simple de faire entendre raison à tout le monde, surtout dans un tribunal. Lorsqu’en décembre 2023, le tribunal administratif de Pau rejette la requête de débaptisation, l’argument avancé est qu’il s’agirait d’une perspective « mémorielle ». En d’autres termes : ce n’est pas de la méchanceté, c’est juste de l’Histoire.

Mais Karfa Diallo, président de l’association plaignante, n’a pas dit son dernier mot. Cap sur Bordeaux pour un nouvel épisode judiciaire, où il espère enfin enterrer ce nom comme on déboulonne une statue. Et cette fois, un allié inattendu surgit : le rapporteur public, sorte d’arbitre juridique, probablement pour lequel tout est noir ou blanc, qui estime que le mot est devenu offensant avec le temps. Il préconise donc sa suppression pure et simple.

Du côté de la mairie de Biarritz, on sort les livres poussiéreux pour défendre le nom. Pierre Cambot, avocat de la ville, n’hésite pas à convoquer Montesquieu et la littérature abolitionniste pour justifier l’usage du mot. Son argument ? Ce n’est pas une insulte, c’est juste une description neutre… à l’époque. Et puis, peut-être que « la Négresse » vient en fait de lana gresa, un terme latin qui désignerait une sorte d’argile grasse présente dans le coin. Qui sait ? On aime bien les raccourcis géologiques quand ça arrange.

Mais pour Me Colomba Grossi, l’avocate de Mémoires et Partages, cette pirouette étymologique ne tient pas la route : « Avilissant hier, insultant aujourd’hui, ce mot n’a jamais eu une once de neutralité. » Avec ça, difficile de plaider l’innocence toponymique.

Le rapporteur public met les points sur les « i »

Ce jeudi à Bordeaux, c’est une petite bombe que lâche le rapporteur public : le nom du quartier porte atteinte à la dignité humaine et doit disparaître. Pour lui, l’évolution sémantique du mot en fait aujourd’hui une expression stigmatisante et insultante. Une telle appellation dans une ville touristique comme Biarritz ? Impensable.

Et l’ironie ne s’arrête pas là : l’audience se tient dans un bâtiment bordelais construit par une famille de négriers. Une mise en abyme qui ferait presque rire, si le sujet n’était pas si grave.

La décision finale de la cour d’appel sera rendue le 6 février. Si le jugement suit l’avis du rapporteur public, la mairie devra prendre un arrêté dans les trois mois pour changer le nom. Karfa Diallo se montre optimiste mais reste ouvert au dialogue : « Le but n’est pas de contraindre, mais de convaincre. » Discutable, dans le sens où convaincre est une contrainte réduisant la liberté de l’interlocuteur à évaluer de manière totalement autonome les arguments proposés… Vous avez 4h pour sortir un papier sur ce sujet philosophique…

De son côté, la mairie joue la carte de la pédagogie. Une plaque explicative pourrait être installée dans le quartier pour retracer son histoire. Un compromis qui ne satisfait qu’à moitié les militants, bien décidés à tourner la page.

Débaptiser ou déboulonner ?

Ce débat dépasse largement les frontières biarrotes. Il soulève des questions universelles sur la mémoire collective, les stigmates du passé et la place qu’on leur accorde dans l’espace public. Doit-on rebaptiser toutes les rues au nom sulfureux, déboulonner toutes les statues controversées ? Où s’arrête la mémoire et où commence l’effacement ?

Dans quelques semaines, le quartier de la Négresse pourrait entrer dans l’Histoire… par la petite porte. Que restera-t-il de ce nom ? Une plaque commémorative ? Une ligne dans un manuel d’Histoire ? Une nouvelle appellation sans saveur ? Quoi qu’il en soit, ce débat montre qu’en 2025, même un lieu-dit peut devenir le théâtre d’une lutte symbolique.

En attendant, les habitants du coin continuent leur quotidien sans broyer du noir, à mille lieues de ces querelles de mots. Parce qu’après tout, comme dirait un vieux sage basque : « L’Histoire, c’est bien, mais un pintxo pote, c’est mieux. »


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